Claudette Gravel à Bénarès: loin de la carte postale…

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Publié 07/04/2009 par Claudette Gravel

La journaliste Claudette Gravel, qui a animé pendant plusieurs années des émissions du weekend à la radio de Radio-Canada à Toronto, est bénévole auprès d’organismes caritatifs en Inde, à Vârânasî-Bénarès, depuis plus d’un mois. Le pays qu’elle nous décrit est loin des paysages de carte postale ou de tout ce qu’on pourrait imaginer.

On dirait un party d’hommes ivres. Il est 20 heures et les Imams chantent à pleins poumons les louanges de Allah. Les voix proviennent de plusieurs mosquées du centre-ville de Vârânasî. Ce concert cacophonique continuera pendant une dizaine de minutes. Il reprendra au matin vers 5 heures. Les haut-parleurs les diffuseront sur plusieurs coins de rue, sans se préoccuper de déranger ceux qui ne veulent pas entendre. La communauté musulmane est grande à Vârânasî. Les Hindous et Musulmans y vivent ensemble en équilibre fragile.

Vârânasî-Bénarès, le Gange. Qui n’a pas rêvé de s’y mouiller les pieds, peut-être même de s’y plonger en entier pour «effacer les péchés d’une vie» dans cette eau sacrée, ce fleuve au fond duquel sont couchés les cadavres d’hommes saints, de bébés, de femmes enceintes, de ceux qui meurent d’une piqûre de serpent ou du choléra, de vaches, qui n’ont pas besoin d’être incinérés puisque déjà sanctifiées.

Parfois ils remontent à la surface et on voit flotter une masse recouverte d’un linceul, la tête enveloppée d’un linge doré. Ou une patte à la fourrure noire sortant d’un grand sac de plastique.

Un fleuve qui berce des dizaines de soucoupes faites de feuilles séchées remplies de fleurs et d’un lampion qui brille dans la nuit. Tant de prières sont déposées sur ses berges, tant de cérémonies pour célébrer le Gange, Dieu et les dieux, appelées pûjâs où on y verse du lait, du miel, du ghee (beurre purifié), de l’eau de rose, des épices, des colliers de fleurs.

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Bateliers et enfants

Les barques transportent des touristes, des pèlerins, jeunes et vieux venant de partout en Inde ou du reste du monde. Elles vont et viennent, pour le lever et le coucher du soleil, les appareils photos volant aux Indiens qui viennent y faire leurs ablutions et leurs prières, une image qui sera montrée aux parents et aux amis curieux. «Madame, boat?», questionnent les bateliers dès qu’ils voient un étranger.

Sur les ghâts, des enfants, garçons et filles, vendent cartes postales, lampions fleuris, dessins au henné. Ils sont très débrouillards, expérimentés, et toujours sur vos talons.

La vie le long du Gange est intense du matin au soir. Des lavandiers et lavandières viennent y laver le linge, peut-être le votre laissé à l’hôtel le matin même. De grands saris multicolores sont étendus à même les nombreuses marches qui relient le fleuve au large trottoir pour piétons car ni rickshaws ni bicyclettes ne circulent le long des ghâts, justement à cause de ces marches. Il y a en tout 84 ghâts.

Les buffles les montent et les descendent avec élégance pour se rafraîchir dans l’eau du Gange. De nombreux guesthouses sont nichés tout en haut, ce qui vous force à faire de l’exercice. Le prix des chambres varie de 100 à 1500 Roupies (38 Rs pour 1 $ canadien). Entre la grand-rue et les ghâts, vous pouvez vous perdre dans un véritable labyrinthe de ruelles, les galis, qui mènent à des boutiques pour touristes où vous trouvez de tout: vêtements faits sur mesure ou prêts-à-porter, pure soie, magnifiques saris brodés de paillettes et de perles de verre, encens, parfums, malas (108 billes de bois ou de verre attachées à une corde que vous portez au cou), bijoux d’or ou d’argent, restaurants, cafés Internet, vendeurs de thé, de spécialités indiennes ou de friandises sucrées, de fleurs pour les temples.

Les ruelles sont étroites et s’y rencontrent piétons, vaches, chiens, bicyclettes, motocyclettes et parfois la circulation y est si intense que vous ne pouvez pas bouger, ni dans un sens ni dans l’autre.

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Vie spirituelle

Les sâdhus (hommes qui consacrent leur vie à la spiritualité et qui se privent de tout bien matériel) sont nombreux à Vârânasî. On les reconnaît à leurs vêtements oranges. Ils sont parfois couverts de cendre. Ils ont le respect du peuple indien. Les touristes aiment bien les prendre en photos car ils ont toujours un aspect assez extraordinaire. De longues dread locks comme les Rastaman ou la tête fraîchement rasée, portant de longues jupes ou à moitié nus, la peau et les os ou bien en chair, les sâdhus sont de saints hommes. Il y a aussi les mendiants sur les ghâts, mais pas autant que dans les grandes villes comme Kolkota.

Il y a les chèvres, les chiens qui ne cessent de se multiplier et qui se regroupent la nuit pour hurler et défendre leur territoire, il y a les vaches sacrées. Des le mois d’avril, la température devient extrêmement chaude, 37 degrés à l’ombre! Entre midi et 16 heures, la plupart des gens sont à l’intérieur à faire la sieste.

Odeurs aggressantes

Mais quand on voit l’espace qu’ils ont à se partager, on se demande comment ils font pour survivre. Une petite pièce sombre où s’entassent parents et enfants, parfois nombreux, un lit pour toute la famille, le petit réchaud à même le plancher où la mère préparera les repas, sans air frais ni lumière. Souvent devant la porte ou juste à côté, les restes et tous les déchets de la journée.

De plus, les hommes pissent et chient un peu partout le long des murs des maisons ou sur les ghâts et les odeurs d’urine et de vidanges vous agressent, surtout quand la chaleur se pointe. Quant aux femmes, elles se font plus discrètes. Je n’en ai jamais vu s’accroupir et faire ses besoins en public.

Mais les étals de fruits et de légumes sont toujours bien en ordre, arrosés d’air frais. Les raisins verts abondent, les bananes, pommes, papayes, mangues, pommes grenade. On trouve aussi un grand choix de légumes frais: pommes de terre, carottes, choux, haricots verts, radis, et plusieurs sortes que je n’avais jamais vu dans nos épiceries.

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Partout des petits vendeurs, souvent côte à côte et qui vendent les mêmes produits. Certaines boutiques, surtout dans les ruelles, sont si petites qu’on ne peut y tenir debout. Le vendeur restera assis en tailleur, toute la journée, dans un espace d’environ trois pieds de haut sur deux de profondeur et cinq de large.

Incinération des morts

Sur les ghâts, on trouve deux terrains d’incinération. Un plus petit où on accepte tout le monde, un plus grand où on n’y brûle que des Hindous. Plus la caste est basse, plus le corps sera près du Gange. Si vous êtes un brahmane, la plus haute caste, on brûlera le cadavre sur un plan surélevé. On reconnaît le corps des hommes à leur linceul blanc, celui des femmes est rouge et celui des personnes âgées, doré. Les vieillards sont toujours accompagnés de plusieurs personnes.

Au bout de trois heures, il ne restera que les plus gros os: le sternum pour les hommes, le bassin pour les femmes. On les jettera dans le Gange afin qu’ils soient mangés par les poissons et les dauphins. À toute heure du jour ou de la nuit, vous pouvez les voir brûler.

La famille a le droit de descendre sur la berge, les autres, comme nous, peuvent s’installer de chaque côté du terrain. Toute une cérémonie entoure l’incinération. On plonge d’abord dans le Gange le corps recouvert de divers tissus colorés et de fleurs, attaché à une civière de bambou. Puis les membres de la famille versent dans la bouche du mort de l’eau du Gange. On l’installe sur le bûcher, le fils aîné se sera fait raser la tête en gardant seulement un petit épi de cheveux.

Il ira chercher le feu au temple et le ramènera sur le terrain, faisant le tour du bûcher cinq fois pour les cinq éléments: feu, air, terre, eau, esprit. Puis il allumera le bûcher. On y jettera des épices, du bois de santal, du ghee. Quand tout sera consumé, les membres de la famille iront se laver dans le Gange. Il n’y a que les hommes qui assistent à la crémation, les femmes étant trop sensibles (c’est ce qu’on m’a dit…). J’y suis allée souvent voir des corps brûler. Peut-être parce que c’est la façon dont j’ai choisi de partir… en fumée et non à geler au fond de la terre.

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Bouddha

Je quitterai bientôt Bénarès pour me rendre dans la ville où le Bouddha a connu l’éveil, Bodh-Gayâ. J’ai beaucoup aimé marcher le long du fleuve sacré. Je n’y ai toutefois mis que les pieds. Je n’ai pas eu le courage de m’y plonger. Je me demande d’ailleurs comment font les gens pour ne pas tomber malade quand on voit tout ce qui y flotte…

On suggère de passer au moins cinq jours à Vârânasî-Bénarès, j’y serai restée 44 jours, le temps de me faire des amies bénévoles comme moi, et enfants des ghâts qui voulaient se faire prendre en photo. Je pense que je n’oublierai jamais Bénarès, le Gange, les sâdhus, les enfants, la chaleur, les odeurs, les bateaux, les pèlerins, les chiens, les vaches, les chèvres…

Dispensaire

Une adresse où les gens peuvent aider les plus démunis pour qu’ils obtiennent des soins médicaux: www.agirpourbenares.org Je connais ceux qui s’en occupent et ils font vraiment du bon boulot. Ils vont directement sur les ghâts où enfants et adultes viennent se faire soigner. Il y a aussi un dispensaire. Dès qu’ils auront plus d’argent, ils vont en ouvrir un autre. Les soins sont donnés presque gratuitement.

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