Le film «Polytechnique» réveille le passé

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Publié 17/03/2009 par Khadija Chatar

Il en a fallu du courage à Denis Villeneuve pour mettre sur écran, la tuerie du 6 décembre 1989 à l’École Polytechnique de Montréal! Empreint d’une grande sensibilité, Polytechnique sortira à Toronto, au cinéma Cumberland, ce vendredi 20 mars.

Délicat, épineux, le film relate l’histoire cauchemardesque des victimes d’un étudiant psychopathe vouant une haine inextinguible aux féministes. Polytechnique nous ramène dans ce passé, cette journée infernale où de nombreuses vies furent cruellement volées et d’autres marquées à jamais par l’échafaud de Marc Lépine. Le 6 décembre 1989, il ouvre le feu sur 28 personnes. Il en tue 14 –toutes des femmes– et en blesse 14 autres.

C’est autour de deux personnages, Valérie et Jean-François, et de leur combat à la vie que le réalisateur, Denis Villeneuve, nous entraîne. Le rôle de Valérie, interprété par Karine Vanasse, reconstitue les témoignages de trois femmes Nathalie, Geneviève et Hélène, tandis que Jean-François retranscrit le regard de quatre hommes. «On comprenait qu’une partie des survivants avait souffert de ne pas avoir été reconnue pleinement en tant que victimes. Elle n’ont pas eu droit à une tribune pour raconter leur histoire», déclare à L’Express, Karine Vanasse.

Les images de Polytechnique sont devenues, pour ces femmes et ces hommes, présents et absents ce jour tragique, les marches de l’estrade publique tant espérée. «Du point de vue des sentiments et des questions soulevées, tout le monde se retrouve dans ce film. Il y a un sentiment d’impuissance évident qui les anime», relève l’actrice. Une graine de culpabilité dans l’esprit des survivants qui s’est vue grandir et se renforcer jusqu’à répandre, encore aujourd’hui, ses racines impitoyables dans les réminiscences enfouies tant bien que mal.

Libérer cette prison mentale, Denis Villeneuve le fait avec délicatesse. Il montre, à travers Valérie et Jean-François, la fourche à deux pics, l’alternative de ces deux rescapés: survivre ou s’anéantir.

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Avant le tournage du film, les acteurs ont rencontré plusieurs personnes, (familles des victimes, services policiers, ambulanciers, etc.) «Certains n’ont pas parlé depuis 20 ans et ont gardé tous ces sentiments en eux. C’était donc un privilège que d’avoir accès à ces témoignages-là et important pour nous d’en être à la hauteur», poursuit Karine Vanasse.

Un honneur et une reconnaissance qui se sont transmis à travers un récit aux scènes de grande sensibilité. «Le mot d’ordre était la sobriété», dit l’actrice. «À l’époque la tuerie avait provoqué des réactions de toutes sortes. Les hommes et les femmes ont réagi avec beaucoup d’émotion.» Les reproches de l’inertie d’un camp s’opposaient au ressentiment des ambitions de l’autre. «Ils nous importait de retourner à la base avec le moins de jugement possible et d’ouvrir le dialogue différemment.»

Les images de Polytechnique bien que réalisées avec beaucoup de sobriété restent douloureuses. Le réalisme est poussé à son extrême par le décor brut et les prises de vues larges et rapprochées. Des plans parfois en contre-plongée et souvent fixes créent une angoisse contagieuse. Le malaise s’installe devant cette perte de repères des personnages, l’inéluctable sortie et, plus que tout, la souffrance et la terreur peintes sur les visages des étudiantes et étudiants.

Denis Villeneuve présente avec délicatesse l’effarement de ces étudiants. Il s’attarde davantage sur celui des étudiantes, mettant en exergue leur inconscience et incompréhension devant la haine maladive et «misogyne» de Lépine.

Les images montrent, sans ombrage, le tueur traquant ces jeunes femmes, à l’aube de leur épanouissement humain, «juste des étudiantes cherchant à mener une vie normale». Il les poursuit et les harcèle jusque dans leur agonie. Un état qu’il finira par rejoindre, après un «Oh, merde!», il se tire une balle de son fusil meurtrier.

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Plus qu’un film, Polytechnique est devenu la signature de la Fondation des victimes du 6 décembre. «Les membres, majoritairement les familles des victimes, considèrent l’oeuvre comme une continuité du travail réalisé par la fondation depuis 16 ans», confie Karine Vanasse.

Beaucoup de courage et de volonté empathique ont dû être les conditions si ne qua non à la conduite aussi adroite de ce film. Les plus attentifs s’apercevront, d’ailleurs, que le nom de Lépine ne figure pas dans le générique et n’est jamais prononcé dans le film.

Pour attirer un maximum de spectateurs,Polytechnique a été tourné dans les deux langues. À noter donc que le film est en anglais au cinéma Cumberland.

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