Prisons canadiennes: peu de données sur les droits linguistiques

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Le pénitencier de Kingston, en Ontario. Photo: iStock.com/SkyF
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Publié 08/10/2025 par Jean Marie Takouleu

Si la loi promet aux détenus l’accès aux services dans la langue de leur choix dans les prisons fédérales, il peut y avoir des ratés pour les francophones. Entre plaintes au Commissariat aux langues officielles et manque d’information, l’équité linguistique en milieu carcéral reste une énigme.

Peut-on purger une peine équitable quand on ne comprend pas la langue de son geôlier? Cette question est revenue sur le devant de la scène en juillet dernier, lorsque Le Devoir a révélé que la majorité des 483 détenus francophones de l’Ontario n’ont pas systématiquement accès à des services en français dans les établissements carcéraux de la province.

Au niveau fédéral, les droits linguistiques des détenus sont protégés par la Loi sur les langues officielles (LLO). «Les établissements correctionnels fédéraux doivent offrir des services et communications dans la langue officielle de leur choix là où il existe une demande importante», rappelle le Commissariat aux langues officielles par courriel.

Des réponses floues des autorités fédérales

Difficile de confirmer si ces droits se concrétisent derrière les barreaux. Depuis 2019, le Commissariat aux langues officielles a reçu 28 plaintes concernant l’accès aux services en français dans les établissements correctionnels fédéraux.

Raymond Théberge, commissaire aux langues officielles du Canada
Le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge. Photo: courtoisie

De son côté, Service correctionnel du Canada (SCC) n’a pas fourni de données à Francopresse sur la situation des détenus francophones. Dans une déclaration transmise par écrit, il rappelle que les prisonniers peuvent porter plainte auprès du Commissariat s’ils estiment que leurs droits linguistiques ne sont pas respectés.

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L’agence fédérale souligne également offrir des programmes de formation linguistique à ses employés. Elle ne précise cependant pas combien de postes bilingues sont réellement pourvus ni combien de programmes correctionnels sont disponibles en français.

La situation n’est pas plus claire par province. En Ontario, 58 personnes incarcérées dans la province dans les prisons qui relèvent du fédéral ont désigné le français comme langue officielle préférée en 2023-2024.

Seuls quelques-uns des 25 centres correctionnels fédéraux de cette province offriraient réellement des services en français, rapporte Le Devoir.

Manque de transparence

«L’accès aux services en français est déjà difficile dans plusieurs secteurs au pays. La situation est encore plus compliquée en milieu carcéral de par sa nature», observe le professeur en droit à l’Université d’Ottawa, Joao Velloso.

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Le prof Joao Velloso. Photo: courtoisie

Cette problématique reste très peu explorée, mais «elle commence déjà à apparaître dans les recherches», souligne-t-il. Selon lui, le manque de transparence quant aux données dans le milieu carcéral contribue à cette opacité.

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«Bien avant de participer au Prison Transparence Project (PTP), nous avions constaté qu’il était impossible de lancer une initiative dans le domaine de la linguistique parce que les données n’existent pas», explique-t-il.

Le PTP est une étude menée au Canada, en Argentine et en Espagne, sur la transparence de l’information entourant les prisons.

Le spécialiste affirme que le processus de réhabilitation des prisonniers perd en efficacité sur les détenus n’ont pas accès à un service dans leur langue. «Au Canada, la prison a surtout une dimension correctionnelle et de réhabilitation, avec des programmes qui l’accompagnent. Si ces initiatives ne sont pas mises en œuvre dans les deux langues officielles, on peut se poser des questions sur leur efficacité et, donc, sur la fonction même de la prison.»

L’exemple du Nouveau-Brunswick

Au Nouveau-Brunswick, seule province officiellement bilingue, offre une réponse similaire.

Le ministère de la Justice et de la Sécurité publique assure respecter ses obligations linguistiques et cite plusieurs initiatives, notamment l’identification de la langue de préférence dès l’admission, la présence de personnel bilingue, l’accès à des documents en français et à des professionnels francophones sur demande.

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Le ministère et le Commissariat aux langues officielles du Nouveau-Brunswick affirment aussi qu’aucune plainte récente n’a été signalée concernant les services linguistiques. Mais il ne fournit aucune donnée sur le nombre de détenus francophones dans ses établissements.

Les solutions technologiques

Pour Joao Velloso, la solution – principalement dans les provinces avec de fortes communautés francophones – passe par le recrutement et la formation de personnels bilingues.

«La technologie [qu’il s’agisse d’ordinateurs, de tablettes ou de services de visioconférence], peut également faciliter l’accès aux services en français, même si on observe une certaine résistance, notamment dans les établissements où l’on utilise encore le téléphone à pièces pour la communication avec l’extérieur», ajoute-t-il.

«Dans certaines juridictions, exclure la technologie du milieu carcéral revient à aller à l’encontre du principe même de la réhabilitation et de la réinsertion dans une société de plus en plus numérique.»

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