Musique et identité francophones: «On coche les cases»

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Nicolas Ouellet, animateur radio à ICI Musique, Anne Robineau, Krista Simoneau et Yao, lors d’une rencontre organisée par l’Adisq à l’UQÀM. Photo: Camille Langlade, Francopresse
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Publié 03/10/2025 par Camille Langlade

La francophonie canadienne évolue à vitesse grand V, tout comme ses artistes et sa musique. Lors d’une journée organisée par l’Adisq, le 26 septembre, à Montréal, des acteurs et des actrices du milieu ont discuté du lien étroit et pourtant si mouvant qui unit identité et chanson francophone.

«C’est quoi l’identité francophone en Ontario quand le recensement de 2021 te dit que les sept principaux pays d’immigration francophone sont en Afrique? Cette démographie-là, elle change», a d’emblée lâché l’artiste franco-ontarien Yao, lors d’une discussion dans le cadre de l’évènement organisé par l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (Adisq).

«Quand l’ONU est capable de te dire que Paris n’est plus la première ville française au monde, qu’il y a plus de locuteurs francophones à Kinshasa au Congo qu’il y en a à Paris, et que d’ici 2050, près de 90% de la francophonie jeunesse sera sur le continent africain, on a besoin de se questionner.»

Quelle identité francophone canadienne?

Pour lui, il est nécessaire d’avoir une réflexion sur l’identité francophone canadienne – et donc par ricochet sur la culture qui l’entoure –, surtout en ce moment, alors que la francophonie change «à vue d’œil».

Projet de loi C-10 radiodiffusion francophonie Anne Robineau
Anne Robineau

Mais qui est en position de dire ce qui est francophone et ce qui ne l’est pas? «C’est pas nécessairement juste des individus, ce sont des institutions», observe Anne Robineau, directrice adjointe de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques, au Nouveau-Brunswick.

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Des institutions, mais aussi des radios, des diffuseurs, qui n’évoluent «peut-être pas aussi vite qu’on veut quand on vient d’ailleurs et qu’on veut s’intégrer justement à cette francophonie», relève-t-elle.

Au-delà des quotas

En situation minoritaire, la chanson francophone est souvent réduite à sa dimension «folklorique». Autrement dit, «un gars ou une fille avec une guitare qui va chanter une ballade folk», a illustré l’animateur de la discussion, Nicolas Ouellet.

«On coche les cases», réplique Yao. «En tant qu’artiste en minorité, on se pose souvent la question à savoir “est-ce qu’on joue ma musique parce qu’elle est bonne ou parce que je remplis le quota?”»

Il prend l’exemple du Mois de l’histoire des Noirs, où il est très sollicité. «À un moment, tu te demandes et tu te dis: est-ce que c’est juste parce qu’il y a des sous pour ça? Je ne suis pas noir qu’en février.»

Krista Simoneau, directrice de l’agence Les Yeux boussoles au Québec, rappelle de son côté l’importance des quotas et des indicatifs de performance, notamment chez les diffuseurs et auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

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«On le voit, les radios commerciales qui veulent diminuer les quotas et tout ça; c’est important quand même de le défendre.»

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«Dans les écoles en Ontario, on démonise l’anglais alors que c’est la réalité de beaucoup de jeunes et beaucoup de familles sont exogames», déplore le chanteur Yao. Photo: extrait Le Grand ménage des Fêtes à Unis TV

Dépasser le critère de la langue

Ayant beaucoup intervenu en milieu scolaire, Yao invite aussi les acteurs de l’éducation à revoir leur propre approche en matière d’identité francophone.

«En Ontario, les élèves ne s’identifiaient pas comme étant francophones, ils s’identifiaient comme étant bilingues, et ça avait créé un tollé à un moment, parce que l’identité francophone se retrouvait à être diluée. Mais eux [ils disaient]: “On n’est pas tous une chose, on est de multiples choses.” Et musicalement, c’est la réalité de beaucoup d’artistes.»

L’auteur-compositeur-interprète rappelle que la musique reste universelle. Quand il s’est aperçu qu’il était écouté en Allemagne, au Japon et en Lituanie, que des anglophones assistaient à ses évènements, il s’est lui-même interrogé sur la façon de présenter sa musique et à quels publics.

«Au lieu de strictement essayer d’être sur des playlists de musique francophone, est-ce que je peux essayer d’être sur des playlists de musique pop, slam, funk ou autre?», s’est-il demandé.

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Le Franco-Ontarien cite également le cas d’une personne dont le français est la deuxième ou troisième langue. «Est-ce qu’elle se reconnaît aussi comme étant une francophone? Quand tu lui dis d’écouter de la musique francophone, ça veut dire quoi?»

Celles et ceux qui apprennent le français en langue seconde demeurent un public cible, confirme Anne Robineau. Elle invite les institutions scolaires à collaborer pour favoriser la découvrabilité des artistes actuels au sein de ces enseignements.

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Ateliers et prestations musicales au festival Quand ça nous chante dans les écoles de langue française de l’Ontario. Photo: archives l-express.ca

La musique francophone à l’école

Les panélistes ont tous souligné l’importance d’être exposé à la chanson francophone dès le plus jeune âge.

Yao a mis de l’avant les politiques d’aménagement linguistique et culturel de certains ministères de l’Éducation, comme au Nouveau-Brunswick. «On parle des artistes acadiens, on joue des artistes acadiens, on fait connaître à la société la culture acadienne.»

Il dit qu’en Ontario, une telle dynamique est plus difficile à mettre en place. «J’étais dans un évènement de rencontre et 66% des nouveaux professeurs francophones de l’Ontario venaient du Québec, et faisaient écouter de la musique québécoise aux jeunes», déplore-t-il.

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Selon lui, les différentes francophonies au pays devraient davantage se parler et échanger leurs bons coups.

Franco-Fête de Toronto 2025 Harbourfront
La musique des Colocs à la Franco-Fête de Toronto 2025. Photo: l-express.ca 

«Dans les deux sens»

La collaboration doit se faire «dans les deux sens»: de la part des décideurs et de la société, insiste Yao. Car les deux ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde.

Un jour, un diffuseur ontarien lui a dit que le public n’était pas encore prêt pour sa musique. Quelques jours plus tard, il reçoit un appel pour l’inviter à se produire aux Jeux franco-ontariens, devant un parterre de jeunes qui écoutent précisément sa musique. «Il y a un décalage», commente-t-il.

Pour Krista Simoneau, ce n’est pas en culpabilisant les auditeurs qu’ils écouteront de la musique en français. «Il y a beaucoup d’acteurs dans le milieu qui se doivent de prendre les rênes de cette découvrabilité-là, mais ça passe par les artistes et la place qu’on leur fait à heure de grande écoute. Ça prend des porte-paroles.»

«Ça vient aussi beaucoup des parents, de la famille», complète Anne Robineau. «Les jeunes entre eux vont aussi se recommander, partager des références communes.»

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Francophonie en Fête, Bentway, Noémi Madeleine
Un groupe torontois sur la scène du festival Francophonie en Fête. Photo: archives, l-express.ca

Il faut aller chercher les fidèles

Certains artistes actuels ont une base d’admirateurs très engagés, remarque Krista Simoneau, faisant notamment référence à Lou-Adriane Cassidy ou à P’tit Belliveau.

Ce sont ces «core fans» qu’il faut aller chercher, d’après Yao. Des fans fidèles, qui sont prêts à payer pour écouter leurs artistes et les suivre; plutôt que de tenter d’atteindre des millions d’abonnés sur les plateformes d’écoute ou les réseaux sociaux.

L’industrie se tourne toujours vers la France et l’Europe, mais Yao souligne que les artistes francophones sont aussi écoutés en Afrique, en Amérique latine, en Asie. «C’est un marché potentiel. Il faut élargir notre horizon et arrêter d’être nous-mêmes notre propre pire ennemi et de dire que parce que je fais de la musique francophone, je dois juste jouer devant des francophones.»

Le nerf de la guerre

Les représentants du milieu doivent aussi outiller les élus sur la Colline, à Ottawa, relève Yao. Il insiste encore sur la nécessité de travailler ensemble et ne pas se fragmenter. La multiplication d’organisations francophones et de conseils d’administration freine parfois l’obtention de financements, car «ils frappent tous à la même porte», regrette-t-il.

Le labyrinthe administratif relatif aux multiples demandes de financement n’est pas viable, selon lui. «On travaille dans des silos. On fait du travail pour rentrer dans les enveloppes; on ne cherche pas nécessairement des enveloppes pour faire du travail.»

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