Toronto souffre d’une hémorragie de sa classe moyenne

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En couverture du rapport de recherche de CivicAction intitulé «L’histoire humaine du logement des travailleurs».
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Publié 22/09/2025 par Soufiane Chakkouche

Une récente étude publiée par la fondation CivicAction sonne le tocsin: Toronto est en train de se vider de sa classe moyenne à vitesse grand V. Une classe moyenne qui, au demeurant, est connue pour être le kérosène de l’activité économique. En cause: un coût de la vie exorbitant, et surtout la flambée des loyers et des prix de l’immobilier ainsi que des logements inadaptés.

«Il ne s’agit pas seulement d’un problème de main-d’œuvre, c’est une crise croissante aux profondes répercussions humaines et économiques.» Voilà un mince échantillon de ce que l’on pourrait lire dans le nouveau rapport de recherche de CivicAction intitulé l’histoire humaine du logement des travailleurs.

En entrevue à l-express.ca, Leslie Woo, PDG de CivicAction, en remet une couche . «Nous voyons déjà des impacts urgents: pression sur l’économie en raison des pertes de revenus, de talents et de productivité, augmentation de l’insécurité alimentaire et du recours aux banques alimentaires, dégradation de la santé, allongement des temps de trajet et des empreintes carbone, et charges accrues sur des systèmes sociaux, éducatifs, de transport et de santé déjà saturés.»

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Les statistiques migratoires pour villes du GTHA. Source: Statistique Canada

550 000 personnes ont quitté la région

Et pour cause, à en croire le rapport, ils étaient plus de 550 000 résidents à avoir quitté la Région du Grand Toronto et de Hamilton (RGTH) entre 2014 et 2024, et l’hémorragie se poursuit encore aujourd’hui.

Leslie Woo
Leslie Woo.

En outre, et c’est bien là que le bât blesse, il s’agit en grande partie de travailleurs à revenu moyen, lesquels représentent presque 50% de la population, qui migrent vers d’autres cieux.

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Comme le souligne Leslie Woo: «Nous parlons ici des travailleurs essentiels qui soutiennent nos institutions et services vitaux, à l’instar des professionnels de la santé, des conducteurs de transport en commun et des enseignants.»

«Mais on parle aussi de ceux qui contribuent à la vitalité et à l’âme de nos communautés, comme les propriétaires de petites entreprises, les créateurs et les travailleurs qualifiés. Lorsque nous perdons ces travailleurs clés, cela entraîne directement une réduction de l’accès aux services, une augmentation des temps d’attente et une perte de qualité de vie.»

Pauvreté sous le radar

Un autre constat de taille révélé par le rapport réside dans le fait que la moitié des ménages de la région du Grand Toronto, bien qu’ils appartiennent à la classe moyenne avec des revenus oscillant entre 40 000 $ et 125 000 $ par an, ne parviennent pas à se loger correctement. Les auteurs de l’étude appellent ce phénomène «les pauvres invisibles».

«Même si votre emploi est stable et vous place dans cette tranche de revenu moyen, cela ne signifie pas que vous ne peinez pas à subvenir à vos besoins et à ceux de votre famille. Les ménages à risque immédiat d’itinérance gagnent moins de 40 000 $ par an. Les interventions d’urgence tendent à se concentrer sur ce risque immédiat. Mais les ménages de la classe moyenne, qui disposent d’un revenu autrefois considéré comme décent, font face à des risques cachés», étaye Leslie Woo.

En effet, les ménages à revenu dit moyen gagnent trop pour bénéficier des aides et des subventions d’urgence, mais pas assez pour avoir la garantie d’un logement adéquat à Toronto, surtout pour les travailleurs situés dans le bas de la fourchette des revenus moyens.

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Par ailleurs, toujours selon le rapport, 66% des individus sondés disent dédier plus de 30% de leurs revenus au logement. et 29% y laissent plus de 50% de leurs ressources financières.

Résultat des courses, environ deux travailleurs à revenu moyen sur trois déclarent avoir sérieusement songé, au cours des trois dernières années, à quitter leur emploi ou à déménager ailleurs, en emportant dans leur valise leur savoir-faire, leur force de travail et leur pouvoir d’achat.

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Nombre d’Ontariens ayant déménagés d’une municipalité à une autre de 2019 à 2024. Source: Université métropolitaine de Toronto

7,5 milliards $ de pertes annuellement

Les auteurs de l’étude ont cherché à quantifier cette hémorragie ou plutôt ce manque à gagner.

«Le coût humain est bien réel. Près d’un million de travailleurs à revenu moyen ne peuvent plus se permettre de vivre dans la RGTH, et cela nous coûte jusqu’à 7,5 milliards $ par an en pertes de revenus, en difficultés de rétention des talents et en manques de services», précise Leslie Woo.

À titre comparatif, une telle somme représente l’équivalent du budget annuel du ministère des Transports de la province et plus que le budget du ministère ontarien de la Justice.

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Logements inadaptés pour la classe moyenne

Pour Frank A. Clayton, professeur et chercheur au Centre de recherche en urbanisme et en aménagement du territoire de l’Université métropolitaine de Toronto, cet exode de la classe moyenne est principalement dû à des logements inadaptés à cette classe sociale.

Frank A. Clayton
Frank A. Clayton.

«Les sondages réalisés auprès des acheteurs ou acheteurs potentiels de logements dans la région du Grand Toronto montrent systématiquement une forte préférence pour les maisons unifamiliales ou des équivalents (maisons jumelées, maisons en rangée ou même maisons superposées)», déclare-t-il à l-express.ca.

Or «avec les prix actuels des logements de ce type devenus inabordables dans les zones centrales de la région du Grand Toronto, les ménages quittent Toronto ainsi que Peel et York pour s’installer ailleurs dans le Golden Horseshoe élargi, voire au-delà, afin de trouver des habitations accessibles», argumente-t-il.

Déménagement en périphérie

La dernière publication, datant d’avril dernier, concernant l’évaluation des estimations de la migration intraprovinciale nette, abonde dans ce sens. Elle vient du Centre de recherche en urbanisme et en aménagement du territoire de l’Université métropolitaine de Toronto.

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Les municipalités qui connaissent une migration intraprovinciale nette négative en 2024. Source: Université métropolitaine de Toronto

«Il semble que les résidents qui quittent la ville de Toronto ainsi que les régions de Peel et de York aient surtout déménagé vers d’autres parties de la RGT et vers des municipalités périphériques de la RGHP [région élargie du Golden Horseshoe], à la recherche de maisons unifamiliales plus abordables», peut-on y lire. «Mais certains se sont installés encore plus loin.»

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Quant aux solutions, ce spécialiste conseille à la Ville «d’être plus proactive dans la promotion de l’ajout de logements secondaires dans les maisons unifamiliales existantes, car c’est la manière la moins coûteuse d’augmenter le parc locatif».

«Elle devrait également encourager la transformation de maisons unifamiliales existantes en immeubles de faible hauteur afin d’accroître significativement l’offre de logements dits intermédiaires, souvent manquants.»

En attendant, à l’instar des dernières décennies, l’écart entre les ménages du quartile de revenu supérieur et ceux du quartile inférieur devrait continuer à se creuser dans la métropole.

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