«Maudit Québécois», un discours du passé?

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La nationalisme québécois a suscité un schisme au Canada français dans les années 1960, menant au stéréotype du «maudit Québécois» dans certains milieux francophones de l'Acadie, de l'Ontario et de l'Ouest canadien.
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Publié 15/05/2025 par Marianne Dépelteau

Le «maudit Québécois» fait-il encore partie du discours des francophones de l’Ouest canadien et de l’Ontario? Un chercheur s’est penché sur cette question, une aventure qui l’a mené dans sept villes de la francophonie canadienne.

Justin Labelle est doctorant en anthropologie linguistique à l’Université de Montréal. Il s’intéresse aux vestiges des tensions entre, d’une part, les francophones en situation minoritaire de l’Ouest canadien et de l’Ontario, et, de l’autre, les francophones du Québec. Un ressentiment qui trouve ses origines dans l’histoire.

Pendant les États généraux du Canada français tenus entre 1966 et 1969, lors des référendums sur la souveraineté du Québec, et dans les Accords du Lac Meech et de Charlottetown, entre autres, «les autres francophones ont été cachés, mis dans les marges, encore plus qu’ils ne l’étaient déjà», explique Justin Labelle, en entrevue avec Francopresse.

Des sentiments de rejet et d’abandon ont ainsi nourri une expression bien connue: le «maudit Québécois».

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Justin Labelle, doctorant à l’Université de Montréal. Photo: Marianne Dépelteau, Francopresse

C’est quoi le «maudit Québécois»?

Justin Labelle : C’est basé sur un stéréotype. Une personne hyper centrée sur elle-même qui ne veut pas entendre parler des autres, qui n’a même pas conscience que les autres existent. Je présente parfois dans mes résultats trois types du «maudit Québécois».

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Le premier, c’est celui qui reste au Québec, super nationaliste, qui ne veut même pas entendre qu’il y a d’autres francophones ailleurs.

Le deuxième est un peu plus ouvert. Il va aller sur les lieux, quitte le Québec et visite le Canada, [mais ne comprend pas pourquoi il y a des francophones là-bas].

J’ai une anecdote pour le type deux: j’étais au Café postal à Winnipeg, où ça se déroule en français. Une Québécoise est entrée et a dit «bonjour» pour tenter sa chance. Le barista a répondu «bonjour», et la cliente a répondu «tu parles en français? Comment ça? T’es au Manitoba. Tu fais quoi ici?» Il a répondu qu’il est né là et que sa vie se passe en français, ce à quoi la cliente a répondu «tes parents viennent d’où alors?» C’est un manque de compréhension.

Le troisième, ben c’est Denise Bombardier. C’est le puriste.

Ce qui a causé les grands conflits à cause du documentaire Denise au pays des francos, c’est qu’elle est allée voir des gens, ils lui parlaient en français, pis elle leur disait «ta francophonie est en train de mourir». […] Denise Bombardier a fait de bonnes choses, mais dans ce documentaire, on lui parle en français et, à la fin, sa conclusion c’est «la francophonie se perd».

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Quelle place occupe le discours du «maudit Québécois» aujourd’hui?

Justin Labelle : Il existe encore. Ce n’est pas quelque chose qui appartient simplement au passé, mais les francophones du Canada ont changé. Ils se rendent compte maintenant que c’est un stéréotype, pour la plupart. Ça appartient à un héritage, à la mémoire collective.

Il y a encore un petit quelque chose. La preuve: le discours du «maudit Québécois» est ressorti en réaction au documentaire Denise au pays des francos.

De plus en plus, c’est une blague. Quelqu’un à Sudbury m’a dit à la blague: «C’est quoi la différence entre un Québécois et un crisse de Québécois? Le Québécois reste chez lui.»

En tant que Québécois, je n’ai pas été dérangé là-bas. Personne ne m’a mis de côté. [La relation] se passe de mieux en mieux. D’une certaine façon, parce que le Québec a fait des tentatives de rapprochement avec des affaires comme le Secrétariat du Québec aux relations canadiennes. D’une autre façon, parce que les communautés francophones en situation minoritaire ont elles-mêmes beaucoup changé.

Quelqu’un a utilisé le mot «indépendantisé», un jeu de mots avec [l’indépendantisme revendiqué au] Québec. Ils ont acquis leur souveraineté d’une certaine façon dans le Canada. Au lieu de se voir maintenant à côté ou en dessous du Québec, ils se voient pour eux-mêmes. L’idéologie du «par et pour» est très présente.

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Pourquoi avoir choisi ce sujet d’étude?

Justin Labelle : Je viens de Rouyn-Noranda et j’ai de la famille à Sudbury. Je me rendais compte qu’il y avait souvent des problèmes de compréhension entre les deux communautés. Pis j’entendais de plus en plus une espèce de discours… pas une haine, mais le manque de compréhension causait des conflits.

J’ai pensé à faire une étude pancanadienne, d’Est en Ouest. Ça aurait été un gros travail et je n’ai pas obtenu [beaucoup de financement]. J’ai fait ce voyage en char. Je ne suis pas allé en Acadie parce que j’ai l’impression que la francophonie en Acadie est différente. Les rapports entre francophones c’est culturel, plus que simplement linguistique.

Les territoires et la Colombie-Britannique, non seulement c’est loin, mais en regardant les statistiques, je me suis rendu compte que le bagage culturel qui cause les conflits avec le Québec… [c’est beaucoup avec des personnes d’origine canadienne-française].

Là-bas, à cause de la mondialisation et des changements de population, ce sont beaucoup des Européens et des Africains. Il y a encore des anciens Canadiens français, mais j’ai l’impression que ceux qui sont là maintenant ont moins ce bagage, cet héritage avec les Québécois.

Vous avez passé du temps dans sept villes: Ottawa, Sudbury, Hearst, Winnipeg, Saskatoon, Regina et Edmonton. Qu’en retenez-vous?

Justin Labelle : Tout l’aspect de la résilience. Ils ont des beaux organismes qui existent, comme l’ACUFC [Association des collèges et universités de la francophonie canadienne]. Ça me donne envie de continuer de travailler avec eux. Il y a de belles choses qui se font.

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La francophonie canadienne, ce n’est pas une [seule] chose. Ce n’est pas basé tout sur le modèle de la francophonie québécoise avec ses dictionnaires pis ses grammaires. Le mélange de l’anglais et du français, c’est ça, la francophonie canadienne.

Tous ces grands discours, toute cette belle résilience, c’est quelque chose qui a été vraiment plaisant à voir.

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