Malentendants francophones en milieu minoritaire: un double isolement

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Les interprètes en langue des signes du Québec (LSQ), plus facile à utiliser avec le français, sont rares en milieu minoritaire. Photo: iStock.com/Mariia Vitkovska
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Publié 11/03/2025 par Saad Bouzrou

Vivre avec une déficience auditive est un défi quotidien, mais lorsque s’y ajoute la barrière linguistique, l’isolement peut être encore plus grand. En milieu francophone minoritaire au Canada, l’accès aux services en français pour les personnes sourdes et malentendantes demeure limité.

Ariane Millette a grandi en tant que personne malentendante dans l’Est ontarien, un milieu où la majorité des échanges se faisaient en anglais. Comment a-t-elle vécu cette expérience? «Difficilement», répond-elle simplement.

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Ariane Millette. Photo: courtoisie

«Tout le monde parlait anglais autour de moi à Ottawa. Sauf ma famille. Même à l’école, durant les pauses, mes amis étaient bien plus à l’aise en anglais. Ils pouvaient facilement changer d’une langue à l’autre. Pas moi», raconte-t-elle par écrit.

Dépendante de sa mère pour les services en français, elle a mis des années avant de gagner de la confiance en elle et de réussir à interagir avec des anglophones.

Grâce à la lecture

Ce n’est pas l’écoute ou les cours qui l’ont aidée à devenir bilingue, mais bien la lecture.

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«Je me suis décidée à lire en anglais parce que je n’étais pas tentée d’attendre après la traduction française d’une série», confie-t-elle. Une immersion linguistique contrainte, mais nécessaire pour évoluer dans un environnement largement anglophone.

Si l’apprentissage de l’anglais était un défi, l’accès aux services dans sa langue maternelle en était un autre.

«Rares étaient les activités sportives auxquelles mes parents m’inscrivaient qui avaient un entraineur parlant français», relate Ariane Millette. Dépendre des indices visuels devenait alors sa stratégie d’adaptation.

Accès limité à la langue des signes des francophones

Même dans la communauté sourde, être francophone apporte son lot d’obstacles supplémentaires.

En Ontario, la majorité des malentendants utilisent l’American Sign Language (ASL), car elle est liée à l’anglais, langue majoritaire de la province. «Il est donc beaucoup plus difficile de recevoir des services en langue des signes québécoise (LSQ) ou de trouver des interprètes FR-LSQ», commente Ariane Millette.

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Une réalité que le directeur général de l’Association des Sourds du Canada, Richard Belzile, confirme. «Dans un contexte minoritaire, le défi devient la pénurie d’interprètes en LSQ. Les employeurs ou les institutions qui disposent de budgets conséquents, comme les universités ou les hôpitaux, peuvent se permettre d’embaucher des interprètes, mais dans de nombreuses régions, l’offre est quasi inexistante.»

Un enjeu crucial: la formation des interprètes

Au-delà du manque de services, le problème réside aussi dans la formation des interprètes en milieu minoritaire.

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Richard Belzile. Photo: courtoisie

«Former un interprète en LSQ prend des années», explique Richard Belzile. «Il faut être bilingue français-anglais, comprendre la culture sourde et celle des entendants, et savoir adapter le message pour le rendre accessible. Or, les budgets étant souvent limités, cela crée une barrière énorme pour les personnes sourdes qui souhaitent des services en français.»

Il cite l’exemple d’un malentendant francophone vivant dans une région où l’ASL domine. «La seule option, souvent, est d’apprendre la langue des signes de la majorité, l’ASL. Ce n’est pas impossible, mais cela demande un effort supplémentaire considérable.»

Dans la vraie vie

Le principal défi des personnes sourdes et malentendantes reste donc l’accès à la communication. «Que ce soit pour réussir économiquement, socialement ou même dans sa vie familiale, la communication est essentielle», souligne-t-il.

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Or, si la Charte canadienne des droits et libertés interdit la discrimination fondée sur le handicap, certaines limites sont permises. Le directeur évoque le concept juridique de «préjudice injustifié», qui sert à déterminer quelles adaptations sont essentielles et lesquelles peuvent être ignorées si elles engendrent un cout ou une contrainte excessive pour une entreprise.

«Cela signifie qu’un petit commerce, par exemple, n’est pas tenu d’engager un interprète en LSQ ou ASL pour accueillir un client sourd», illustre-t-il.

Un besoin criant de ressources éducatives

Carine Jacques Lafrance, directrice générale du Regroupement des parents et amis des enfants sourds et malentendants franco-ontariens (RESO), souligne que l’accès aux ressources éducatives en LSQ pour les enfants sourds francophones est insuffisant.

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Carine Jacques Lafrance. Photo: Courtoisie

«Combien de services de garde en Ontario ont des éducateurs capables de communiquer en LSQ? Très, très peu», déplore-t-elle.

La surdité touche environ 700 à 1000 enfants francophones en Ontario, dont une centaine avec une surdité sévère ou profonde, rapporte-t-elle. Or, pour assurer un développement linguistique et cognitif équilibré, il est crucial que ces enfants aient accès à une langue visuelle dès le plus jeune âge.

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«S’ils ne sont pas exposés à une langue visuelle avant l’âge de 6 ans, ils risquent une privation langagière qui aura des conséquences sur leur développement cognitif, social et affectif», alerte-t-elle.

Elle insiste sur la nécessité de former des professionnels capables de répondre aux besoins des enfants sourds et malentendants en milieu minoritaire.

Un roman pour sensibiliser

Ariane Millette est aussi autrice. Son roman, Déchiffrer la tempête, paru aux éditions Hurtubise en octobre 2024, plonge le lecteur dans la réalité des personnes malentendantes.

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Le roman Déchiffrer la tempête, d’Ariane Millette.

À travers ce récit, elle souhaite permettre aux lecteurs d’avoir une idée de ce que vivent les personnes sourdes et malentendantes. «Mon roman donne un aperçu littéralement visuel de la déformation de la parole qu’entend une personne malentendante, et ce, dès le prologue», indique-t-elle.

«J’entends par cela non seulement les barrières communicatives, mais aussi le parcours d’acceptation de sa différence, l’impact social sur l’individu et sur son entourage, les visites chez l’audiologiste et l’audioprothésiste», précise-t-elle.

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