Les Métis: des siècles pour obtenir une reconnaissance

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Les membres du gouvernement provisoire du Manitoba, avec Louis Riel au centre. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / Fonds Topley Studio / a012854
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Publié 20/10/2024 par Marc Poirier

Ils chassaient le bison et giguaient au son des violoneux. Ils priaient Kitchi Manitou et «li Boon Jeu» (le bon Dieu). Porteurs de cultures autochtones, françaises et écossaises, ils ont inventé une langue, le mitchif. Ils se sont battus et se battent toujours pour leurs droits. Ce sont les Métis.

Les unions entre Autochtones et colons européens sont survenues très tôt dans l’histoire de la Nouvelle-France. Le premier enfant connu d’un couple mixte est André Lasnier, né vers 1619 à Port Latour, en Acadie, fils de Louis Lasnier et d’une «Canadienne».

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«Wigwam», un Métis saulteaux, communauté autochtone du Nord-Ouest de l’Ontario, 1858. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / Fonds Humphrey Lloyd Hime / c016447

La traite des fourrures

La naissance d’une véritable communauté métisse, dans ce qui est aujourd’hui le Canada, se déroule cependant bien plus tard et bien plus loin des côtes de l’océan Atlantique. La traite des fourrures en sera la genèse.

Au cours du XVIIe siècle, coureurs des bois, trappeurs et négociants français, puis ceux nés en Nouvelle-France, prennent d’assaut la région des Grands Lacs. Plusieurs de ces aventuriers s’unissent avec des femmes autochtones.

Mais ce n’est qu’au siècle suivant que de petits groupes familiaux mixtes s’établissent un peu à l’écart des Autochtones et des Blancs.

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Commerçants métis de fourrure dans les plaines des Prairies, vers 1872-1873. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / C-081787

La Compagnie de la Baie d’Hudson

En 1670, la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) voit le jour. Elle obtient une charte royale britannique qui lui donne le monopole du commerce de la fourrure dans la «Terre de Rupert», un immense territoire allant du nord du Labrador jusqu’aux Rocheuses.

Bon nombre d’officiers et autres employés de la Baie d’Hudson fondent des familles avec des Autochtones.

En 1811, la CBH accorde à l’un de ses actionnaires, l’Écossais Thomas Douglas, comte de Selkirk, un vaste territoire qui couvrait cinq fois la superficie de l’Écosse et qui s’étendait de la Saskatchewan actuelle jusqu’au Nord-Ouest de l’Ontario d’aujourd’hui, débordant même dans des parties des états américains actuels du Minnesota et du Dakota du Nord.

Lord Selkirk y fonde une colonie au confluant des rivières Rouge et Assiniboine, dans le Manitoba actuel. Il attire des Écossais et des Irlandais pour peupler le nouvel établissement, qui devient la première colonie agricole du Canada.

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La Terre de Rupert octroyée à la Compagnie de la Baie d’Hudson équivalait au tiers du Canada actuel. Photo: Wikimedia Commons, Attribution – Partage dans les Mêmes Conditions 3.0

La Compagnie du Nord-Ouest

Mais la naissance de cette colonie est perçue comme une menace par la grande rivale de la CBH, la Compagnie du Nord-Ouest (CNO), et par les Métis qui l’approvisionnent ou qui y travaillent, dont Cuthbert Grant.

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Celui-ci prend la tête d’un groupe de Métis qui décide d’expulser les colons de la rivière Rouge. Lors d’un combat, le gouverneur de la colonie, Robert Semple, et plusieurs habitants trouvent la mort.

Les conflits prennent fin lorsque les deux compagnies fusionnent en 1821. La nouvelle Compagnie de la Baie d’Hudson se retrouve alors avec un surplus d’employés.

En conséquence, plusieurs agents métis décident de partir pour aller s’installer à la rivière Rouge avec leur famille. C’est à cet endroit que prendra naissance la communauté métisse du Manitoba.

Mais d’autres conflits surviennent. En 1835, la CBH prend directement le contrôle de la colonie de la rivière Rouge et forme le Conseil d’Assiniboine, qui devient un véritable gouvernement local au sein duquel les habitants métis et canadiens-français y sont représentés aux côtés des Écossais et des Irlandais.

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Des conseillers de Louis Riel emprisonnés, ici devant le palais de justice de Regina, août 1885. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / O.B. Buell / Fonds Ernest Brown / c006688b

De colonie à province

Au cours des prochaines décennies, les Métis deviennent de plus en plus nombreux au sein de la colonie et s’opposent avec plus de vigueur au Conseil d’Assiniboine.

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En 1867, c’est la Confédération. Deux ans plus tard, la CBH vend la Terre de Rupert au gouvernement du Canada. Les Métis sont offusqués que tout se soit passé sans qu’ils aient un mot à dire.

Ottawa pousse la provocation en dépêchant des arpenteurs pour cartographier la région, sans égard aux Métis qui y habitent.

Craignant l’arrivée massive de colons anglo-protestants de l’Ontario, les Métis, menés par un jeune membre instruit de leur communauté du nom de Louis Riel, chassent les arpenteurs et s’emparent d’un poste de traite. C’est la «Rébellion de la rivière Rouge».

Quelques mois plus tard, un gouvernement provisoire, dont Louis Riel devient le président, est chargé de négocier l’annexion de la colonie au Canada comme cinquième province.

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Tombes de Métis tués lors de la bataille de Batoche, en 1885, qui a mis fin à la Rébellion du Nord-Ouest. Photo: Bibliothèque et Archives Canada, Postcard collection / c001714

Vengeance

Les pourparlers mènent à la création du Manitoba en juillet 1870, avec certaines garanties et certains privilèges pour les Métis, dont la promesse d’une réserve de 1,4 million d’acres de terre.

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Mais entretemps, un certain Thomas Scott, qui avait tenté de renverser le gouvernement provisoire, est condamné à mort par une cour martiale, quelques mois avant la création de la province.

En août, un détachement militaire envoyé par Ottawa pour maintenir la paix cherche à venger Scott. Riel fuit aux États-Unis.

Malgré les promesses de la Loi sur le Manitoba, des centaines de Métis sont chassés de leurs terres par des colons, principalement ontariens, et trouvent refuge plus à l’Ouest.

Les Métis de cette région entreprendront à leur tour une résistance, la «Rébellion du Nord-Ouest», en convainquant Louis Riel de revenir de son exil et d’en prendre la tête.

Après la défaite à Batoche, Riel se rend et est pendu le 16 novembre 1885.

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Métis, Louis Riel
La pendaison du chef des Métis, Louis Riel, est un évènement majeur dans l’histoire du Canada. Photographié ici entre 1870 et 1873. Photo: Bibliothèque et Archives Canada / Fonds Jean Riel / e011156648

La lutte se poursuit

Au Manitoba, les Métis ne constituent alors plus que 7% de la population. Au cours des décennies suivantes, les Métis de l’Ouest seront confrontés à la pauvreté, au racisme et au dénigrement. De nouvelles organisations prennent forme pour défendre leurs droits et font quelques gains.

Les revendications et les pourparlers des années 1960 et 1970 aboutissent à l’adoption de la Charte des droits et libertés en 1982, dans le cadre du rapatriement de la Constitution canadienne. Les Métis sont reconnus en tant que peuple autochtone au même titre que les «Indiens» (nom alors utilisé pour désigner les Premières Nations) et les Inuits.

En 2013, la Cour suprême du Canada reconnaît que le fédéral a failli à son obligation de distribuer aux Métis les terres promises lors de la création du Manitoba. Des négociations s’ensuivent et aboutissent à une entente en 2016 entre la Fédération métisse du Manitoba et Ottawa.

Puis, en 2021, les deux parties signent un accord reconnaissant l’autodétermination et l’autonomie gouvernementales de la communauté métisse. En 2023, le fédéral reconnaît certains gouvernements métis de l’Ontario, de la Saskatchewan et de l’Alberta.

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Wab Kinew (né Wabanakwut). Photo: Wikimédia, domaine public

Premier premier ministre autochtone

En octobre 2023, Wab Kinew est élu premier ministre du Manitoba. Il est le premier Autochtone à réaliser cet exploit dans une province canadienne.

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Comme il l’avait promis en campagne électorale, la première loi qu’il fait adopter par l’Assemblée législative est la reconnaissance de Louis Riel comme premier premier ministre du Manitoba.

Une longue, très longue boucle de bouclée.

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