Apprendre la culture des Métis auprès de Maria Campbell

Halfbreed publié en français chez Prise de parole

Métis de l'Ontario
Détail de la statue «Métis» de l’artiste Timothy Schmalz exposée depuis 2016 dans le parc Rotary Champlain Wendat de Penetanguishene. L’œuvre représente l’origine du peuple métis. Photo: Micheline Marchand
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Publié 11/12/2022 par Jérôme Melançon

Près de cinquante ans après sa publication, le livre Halfbreed de l’autrice, activiste et enseignante métisse Maria Campbell est enfin offert en français.

Le 15 novembre, le Gabriel Dumont Institute à Saskatoon et La Cité universitaire francophone à Regina ont créé un espace pour le lancement des adaptations audios en anglais et en français de l’ouvrage.

C’est l’occasion de revenir sur le livre et les expériences propres à la nation métisse qui y sont décrites, mais aussi sur les relations entre les Métis et la population canadienne.

Halfbreed, Maria Campbell
L’essai Halfbreed, de Maria Campbell, publié aux Éditions Prise de parole.

Récit autobiographique

Halfbreed est un récit autobiographique dans lequel Maria Campbell revient sur les trois premières décennies de sa vie.

Son histoire, c’est avant tout les expériences vécues par sa famille, les communautés auxquelles elle a appartenu, son peuple et les peuples autochtones.

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Il y est question de ces liens et de ceux qu’elle a pu forger dans diverses situations difficiles, des pensionnats autochtones, mais aussi de la pauvreté et du racisme ainsi que des maux qu’ils entrainent.

Ce livre décrit la prise de conscience de l’autrice, son apprentissage de l’histoire métisse et sa compréhension du besoin d’une affirmation politique collective de la nation métisse.

Le récit qu’elle en a fait est devenu un outil d’apprentissage pour plusieurs générations d’étudiant·es qui ont pu le lire dans des cours de littérature canadienne, d’études autochtones ou encore d’études des femmes à l’université.

Veste métisse restituée
L’Institut Gabriel Dumont porte le nom d’un chef métis de l’Ouest canadien.

Viol

Lors du lancement des versions audios en français et en anglais du livre, Maria Campbell a lu pour la première fois (outre l’enregistrement audio qu’elle a fait elle-même) un épisode du récit qui avait été coupé de l’original.

Elle y raconte une fouille par la GRC de sa maison familiale alors qu’elle était adolescente, lors de laquelle elle a été violée.

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Cet épisode est un exemple parmi tant d’autres du racisme et de la violence systémiques autant qu’individuels que Maria Campbell décrit dans Halfbreed.

Rappelons que la violence policière contre les femmes autochtones a été au centre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, ainsi que de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (Commission Viens).

Drapeaux francos, anglos et métis au Festival du Voyageur (Manitoba).

Les enjeux de la traduction

Pendant le lancement, Maria Campbell était accompagnée de Cindy Gaudet, une chercheuse métisse qui a fait la narration du livre audio en français, et de Madeleine Blais-Dahlem, la directrice artistique de cette narration.

L’autrice avait choisi Cindy Gaudet, qui est originaire la région où elle-même a grandi, pour que le texte soit enregistré dans le français parlé par les Métis de sa région.

La discussion a ainsi porté sur la différence entre la traduction écrite, littéraire, du livre et l’adaptation audio, qui reprend le français oral de la Saskatchewan pour mieux le rapprocher de la langue parlée par Maria Campbell et des traditions orales des peuples autochtones.

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Cette différence entre les traductions montre toutes les difficultés de bien représenter les nations autochtones.

Halfbreed, Maria Campbell
Jean-Marc Dalpé.

La traduction a été faite par Charles Bender, artiste wendat, ainsi que le dramaturge franco-ontarien Jean Marc Dalpé, et a été revue par l’artiste métisse du Manitoba, Andrina Turenne.

Tous trois, et la maison d’édition avec eux, étaient au fait de la distance qui les sépare du contexte propre à l’autrice, Ils ont fait preuve de soin et de diligence dans leur travail et dans leur approche. Il n’en reste pas moins que pour donner la bonne sonorité, il a été nécessaire de continuer ce travail.

Nécessaire de connaître les auteurs

Il est clair, au vu de ce parcours, que la traduction des œuvres autochtones requiert la même attention que celle d’œuvres de toute autre culture ou de toute autre période. Mais ici, l’équipe du projet de narration s’est approprié le texte dans une approche et un processus relationnels.

Cela exige de ne pas se limiter au cadre national spécifique, à la lecture par des expert·es et à la compétence culturelle – ce qui est toutefois nécessaire et a été bien fait pour la traduction.

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La question des relations renvoie au temps passé avec les auteurs et autrices, sinon avec des gens qui ont pu les connaître ou qui partagent un vécu, des gens à qui ont été communiquées des histoires et connaissances qui éclairent l’œuvre.

C’est ce que Cindy Gaudet appelle « la manière de la visite » (Keeoukaywin, the visiting way), une manière de se situer, d’entrer et d’être en relation, de se connaitre et de se laisser transformer par ces relations, afin de pouvoir recevoir les connaissances qui pourront mieux être partagées.

Noël
Le drapeau métis serait le premier drapeau créé au Canada. Ici dans un défilé franco-ontarien en 2016.

Appartenances et relations

Le lancement s’est déroulé entre l’anglais et le français, des discussions ayant lieu dans les deux langues avec plusieurs retours pour y inclure l’autrice.

Ce fut une occasion de rassembler des gens de plusieurs milieux grâce à une collaboration entre l’Institut Gabriel Dumont et La Cité universitaire francophone de l’Université de Regina.

C’est justement ce qu’espère Maria Campbell, qui voit dans la traduction du livre et son accessibilité en format audio un outil, une occasion pour le rapprochement entre les francophones et les Métis.

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La Cité universitaire francophone de l’Université de Regina
La Cité universitaire francophone de l’Université de Regina (l’édifice au toit pointu).

Sa famille était désigné «halfbreed»

En réponse à une question posée pendant l’échange qui a suivi le lancement, Maria Campbell a expliqué qu’elle tient au mot «Halfbreed» parce qu’il renvoie à la manière dont sa famille était désignée lorsqu’elle était enfant.

Les Halfbreed et les Métis ou Michifs étaient et demeurent, pour sa génération, des groupes distincts avec des alliances fortes – comme celle du gouvernement provisoire de la nation métisse – et une proximité de parenté.

Maria Campbell préfère en fait le terme «ka tip aim soot chic» en Michif, qui signifie «les gens qui se possèdent eux-mêmes» («the people who own themselves»).

Autopossession et autodétermination

L’autrice n’est évidemment pas la seule à représenter cette autopossession et l’autodétermination qu’elle suppose.

Le lancement s’est aussi fait dans les locaux d’un organisme dévoué à la culture métisse et à sa compréhension par les peuples du Canada.

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On a ainsi pu sentir l’affection qui relie le public à l’autrice, puisque tant de personnes ont déjà pu s’appuyer sur le travail accompli par Maria Campbell auprès du public canadien et au sein de tant de communautés autochtones.

Auteur

  • Jérôme Melançon

    Professeur en études francophones et interculturelles, ainsi qu’en philosophie, à l’Université de Regina. Chroniqueur à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec Réseau.Presse.

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