C-18 : à qui reviendront les 100 millions $ de Google?

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La ministre du Patrimoine canadien, Pascale St-Onge, pilote l'application de la loi sur la contribution des géants du web adoptée cet été sous son prédécesseur Pablo Rodriguez (chandail rouge). Photo: Chantallya Louis, Francopresse
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Publié 05/12/2023 par Chantallya Louis

Malgré le soulagement apporté par l’entente convenue entre Google et Ottawa, l’inquiétude plane toujours au-dessus de l’industrie médiatique. Plusieurs médias craignent ne pas être admissibles au fonds et des experts croient que certains groupes devraient s’abstenir de prendre une part du gâteau.

«On a évité cette catastrophe», lance Brenda O’Farrell, présidente de Quebec Community Newspapers Association (QCNA), en entrevue avec Francopresse, faisant référence à la menace du géant numérique de bloquer les contenus médiatiques canadiens sur sa plateforme.

«Mais, au niveau des journaux communautaires, il n’y a pas de victoire là-dedans. Est-ce que ça va donner quelque chose à la fin de la journée pour aider les journaux, les petits journaux régionaux?», se demande-t-elle.

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Le quartier général de Google à Mountain View, Californie. Photo: iStock.com/JHVEPhoto

«Il n’y a pas de victoire là-dedans»

Selon Brenda O’Farrell, la loi C-18 a été mal conçue, car elle «traite tous les médias de la même manière».

Or, la présidente soutient que le modèle d’affaires des journaux régionaux est différent de ceux des plus gros médias, comme CBC/Radio-Canada. «Ça, c’est une chose que le gouvernement avec C-18 n’a pas comprise.»

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Brenda O’Farrell.

Les journaux locaux ont la capacité et la volonté d’effectuer un travail journalistique beaucoup plus important, avec très peu de ressources financières et humaines, ajoute-t-elle.

«Si vous regardez ce que les gros quotidiens ont fait avec plus d’argent, ils ont coupé [dans les] emplois, ils ont coupé le nombre d’articles qu’ils ont écrit, ils ont coupé [certaines] régions qu’ils couvraient. Dans toutes les métriques que vous voulez choisir, ils ont fait moins», lâche-t-elle.

Cependant, depuis que le projet de loi C-18 a été déposé en 2022, Brenda O’Farrell estime que la situation financière de nombreux journaux locaux à travers le pays est de plus en plus précaire.

Dans cette optique, Brenda O’Farrell ne cache pas son inquiétude face à la redistribution des 100 millions $ convenus avec Google. Selon elle, les critères d’admissibilité ne sont pas clairs.

«Si c’est basé sur le nombre de clics qu’un journal recevra, les petits journaux locaux vont être toujours en bas de la liste», explique-t-elle.

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Facebook
Meta gère Facebook, Instagram, Messenger, Snapchat, Threads et d’autres plateformes. Facebook et Instagram bloquent au Canada les partages menant à des articles de médias d’information, pour ne pas être forcé de les reemunérer. Photo: Facebook

«Il faudrait que Radio-Canada s’abstienne»

«Je pense qu’il faudrait que Radio-Canada s’abstienne», dit sans hésitation Jean-Hugues Roy, professeur de journalisme à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

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Jean-Hugues Roy.

«Ils ont beaucoup d’argent et, s’ils ont besoin de plus d’argent, c’est peut-être parce qu’ils veulent en faire trop, peut-être qu’ils doivent revenir à une mission plus sobre d’une part», affirme de son côté Marc-François Bernier, professeur titulaire au département de communication de l’Université d’Ottawa.

Selon ces deux experts, l’enveloppe du collectif de médias qui sera mis sur pied dans les prochaines semaines devrait être partagée entre les médias locaux, régionaux, les hebdomadaires, les radios communautaires, etc. Entre autres, «tous les médias communautaires ou de langue minoritaire, autochtone», stipule Jean-Hugues Roy.

«Tous ceux qui ont une mission locale et régionale, parce que c’est là qu’il y a un problème dans notre société», complète Marc-François Bernier.

Selon lui, le manque de financement et d’investissement dans les plus petits médias reste un enjeu important pour la démocratie.

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«Il n’y a pas de médias locaux qui surveillent les administrations locales. Il y a plus de risques de corruption, il y a plus de risques de gaspillage de fonds publics et les enjeux locaux n’ont pas d’écho dans les grands parlements», note-t-il.

Radio-Canada
L’édifice de CBC et Radio-Canada au centre-ville de Toronto. Le diffuseur public (radio, télé et internet, national et régional) est directement subventionné par le gouvernement, en plus de vendre de la publicité et des abonnements à certaines de ses plateformes. Photo: l-express.ca

Concurrence déloyale de Radio-Canada

Marc-François Bernier va plus loin et affirme qu’il y a une concurrence déloyale de Radio-Canada face aux médias locaux. D’après lui, grâce aux fonds publics, Radio-Canada peut couvrir plus d’évènements communautaires là ou d’autres entreprises médiatiques plus petites n’ont pas les moyens ou les ressources pour le faire.

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Marc-François Bernier.

«Il ne faut pas créer de l’argent pour Radio-Canada, sinon ça prive autant les médias locaux de leur droit d’existence, de leur droit de servir leur clientèle. Moi je trouve qu’il y a une question d’équité dans ça. Et c’est aussi lié à la diversité et à la pluralité des sources d’information», défend-il.

Pour sa part, Jean-Hugues Roy croit que l’agence La Presse canadienne devrait être en première ligne pour recevoir une part du fonds Google.

«Ce serait très dommageable pour la qualité de l’information au Canada si La Presse canadienne devait fermer ses portes, donc pour moi ce serait la priorité numéro un», assure-t-il.

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Le blocage Meta persiste

Depuis le 1er août dernier, l’entreprise Meta, maison mère de Facebook et Instagram, bloque les contenus médiatiques sur le territoire canadien. Pour Brenda O’Farrell, c’est une action qui «nous a fait mal».

La présidente soutient que la communauté des médias locaux «a très peur» pour son avenir. Selon elle, le gouvernement fédéral doit faire plus en termes de financement pour les médias.

«C’est une plateforme qui permet aux gens d’acheminer du trafic sur le site des médias», explique Marc-François Bernier, qui est du même avis. «Quand on regarde les faits, les résultats [découlant de C-18], ce n’est pas un grand succès», se désole le professeur de l’Université d’Ottawa.

Pour Jean-Hugues Roy, une action de la part du gouvernement est nécessaire afin d’obliger Meta à garder la circulation des nouvelles sur le territoire canadien. «Beaucoup de Canadiens s’informent grâce à Instagram, grâce à Facebook, il faut forcer. Il y a des arguments qui justifieraient qu’un État oblige Meta à avoir de l’information», conclut-il.

Auteurs

  • Chantallya Louis

    Journaliste pour Radio-Canada, Francopresse et aujourd'hui Le Droit à Ottawa. Diplômée en Études internationales, Langues modernes, Entrepreneuriat social et Administration publique. Elle parle français, anglais, espagnol et créole haïtien.

  • Francopresse

    Le média d’information numérique au service de la francophonie canadienne, qui travaille de concert avec les journaux membres de Réseau.Presse.

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