Le centenaire de Nanook of the North célébré malgré la polémique

Nanook of the North, Inuit
Pour le centenaire du film Nanook of the North, une sculpture représentant Allakkariallak, celui qui a incarné Nanook, réalisée par Patrick Thompson, sera installée au cœur de la communauté d'Inukjuak au Nunavik, le Grand Nord du Québec. Photo: courtoisie Shaomik Inukpuk
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Publié 18/06/2022 par Andréanne Joly

Avant de faire l’objet de critiques véhémentes de nos jours, le film Nanook of the North avait reçu un accueil chaleureux à sa sortie en 1922.

Si son réalisateur a contribué à établir le style documentaire, il l’aurait fait, d’après certains, sur la base de la fausse représentation, de l’appropriation culturelle et de l’ethnocentrisme.

Rien de tout cela n’empêche Inukjuak, la communauté où a été tourné le film, de célébrer cette année le centenaire de Nanook.

Nanook of the North
Robert Flaherty en 1934. Flaherty a pris plus de 1500 photos chez les Inuit de 1908 à 1924. Photo: Collection photographique Arnold Genthe, Library of Congress

Film muet sur un Inuk «ordinaire»

Le 11 juin 1922, Robert Flaherty présente en première son film Nanook of the North au Capitol Centre de New York. Pendant 80 minutes, le spectateur côtoie «Nanook l’ours», un Inuk «gentil, brave et simple», comme on le présente dans l’introduction du film muet.

Nanook vit avec sa femme Nyla «la souriante» et leurs enfants. Il visite le poste de traite où il découvre le gramophone. Il mène une longue, ardue et dangereuse chasse au morse. Il construit un iglou.

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Nanook of the North, Inuit
L’affiche du film Nanook of the North, réalisé par Robert Flaherty en 1922. Source: Robert Flaherty et Pathé Frères [U.S.], Library of Congress

Une fiction dans un cadre réaliste

«C’est la précarité de l’existence de ces Premiers Peuples, leur lutte constante pour survivre dans cet environnement des plus rudes qui est le moteur du récit», décrivait la professeure Shari Huhndorf de UC Berkeley dans un article publié en 2000.

Aux yeux de nombreux chercheurs, Nanook est effectivement un récit, une fiction dans un cadre réaliste.

Cela n’a pas empêché le public de recevoir ce film comme un documentaire ethnographique — un concept tout nouveau à l’époque. Il a ainsi contribué à ancrer bien des stéréotypes.

Ancré en 1922 ou non?

Pour plusieurs universitaires, Nanook of the North est une «supercherie» se situant «entre le documentaire ethnographique et la caricature burlesque»… Comme lorsque toute la famille de Nanook débarque d’un seul et même kayak. Ou que le protagoniste tente de mordre dans un disque.

«Flaherty ne représente pas les Inuit de 1922», croit Isabella Huberman, chercheuse postdoctorale associée à l’Université du Manitoba qui s’intéresse aux littératures et aux cinémas autochtones.

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«Il représente les Inuit d’une période antérieure. C’est un choix délibéré de sa part de créer une sorte de machine à voyager dans le temps.»

Nanook of the North, Inuit
Le 12 novembre 1922, le New York Herald Sun publie une critique positive de Nanook of the North. Source: New York Herald Sun

Traditions ancestrales et paysages

Shaomik Inukpuk, qui habite à Inukjuak, au Québec, où le film a été tourné, voit plutôt en Nanook une capsule temporelle contenant des traditions ancestrales et les paysages de l’Inukjuak de 1922. Il rappelle le mode de vie nomade qui dominait encore au moment du tournage.

Les compagnies Revillon Frères et la Baie d’Hudson venaient à peine d’établir des postes à Port Harrison (Inukjuak), au 58e parallèle. C’est plus tard qu’un établissement permanent a pris forme, précise le membre du comité organisateur du centenaire de Nanook of the North.

«Je suis arrivé dans cette communauté quand j’avais quatre ans et demi», raconte Shaomik Inukpuk. «Mes parents étaient nomades et je devais aller à l’école. J’ai dû laisser mes parents.» C’était au début des années 1960.

L’école devient un pensionnat

L’école de jour fédérale à l’intention des Autochtones de Port Harrison a été construite en 1949 et est devenue un pensionnat en 1961.

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Alors, «ils ont commencé à construire des établissements», poursuit-il. «Les Inuit étaient en processus d’assimilation, mené par le gouvernement.»

Un film, deux lectures opposées

«Ce film-là veut dire quelque chose de différent pour les Inuit que pour les auditoires blancs ou n’importe quel autre auditoire», observe Genevieve Yue, professeure associée à la New School de New York.

New York
Genevieve Yue.

«Pour eux, c’est une des premières images animées encore existantes de cette communauté. Ce sont aussi des membres de leurs familles.»

Dans sa thèse de doctorat, Karine Bertrand, aujourd’hui professeure à la Queen’s University à Kingston en Ontario, en venait à une conclusion semblable.

«L’interprétation du film par les Inuit et sa réception chez les non-Autochtones diffèrent de façon significative, les premiers visionnant avec humour et curiosité des scènes qui, à première vue, pourraient paraître condescendantes.»

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Un zoo humain

Genevieve Yue fait valoir que si Robert Flaherty a scénarisé un film «pour aider le film à atteindre l’auditoire», des contemporains ont mis de l’avant d’«épouvantables pratiques».

Comme un explorateur qui a amené des Inuit à un musée américain d’histoire naturelle. «Flaherty a fait un travail bien différent, comparativement à quelqu’un qui amène des personnes dans une exposition — un zoo humain, au fond…»

Elle reconnaît toutefois les imperfections de Nanook of the North. «Clairement, il y a beaucoup de problèmes, surtout quand on le regarde avec notre point de vue contemporain, autour de la race, de la représentation», résume la professeure Yue.

Mais malgré ses défauts, il demeure aux origines du genre du film ethnographique.

Nanook of the North, Inuit
En salle cette semaine: Nanook of the North, «qui démontre que les explorateurs peuvent faire du cinéma un revenu d’appoint». Source: Sunday News, New York, 11 juin 1922

3 raisons de visionner Nanook of the North

  • De magnifiques images.

«Je suis toujours frappée par la beauté des prises de vue, des paysages. Dans sa progression, le film devient plus contemplatif», remarque Genevieve Yue.

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  • Premier «documentaire».

«Ça montre aux gens le mode de vie nomade de l’époque», fait valoir Shaomik Inukpuk. «Il est très informatif. Tous les gens qui font des documentaires aujourd’hui disent que Nanook of the North est le premier documentaire.»

  • Représentation de l’Autre.

«C’est un outil pour voir comment les cinéastes blancs d’une certaine époque ont choisi de représenter les peuples autochtones», évalue Isabella Huberman.

«Représenter l’Autre: c’est un problème qui ne s’effacera jamais. Mais je ne crois pas qu’on devrait cesser d’essayer», plaide Genevieve Yue.

Manitoba
La chercheuse postdoctorale Isabella Huberman de l’Université du Manitoba. Photo: Ramiya Pushparajah

Se réapproprier Nanook of the North

La chercheuse postdoctorale Isabella Huberman salue la réappropriation culturelle qui se dessine aujourd’hui autour de l’œuvre.

Par exemple, l’artiste et interprète Tanya Tagaq, originaire d’Ikaluktutiak, au Nunavut, a composé une nouvelle bande sonore pour Nanook en 2013-2014.

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«Quand elle était à l’école, Tanya Tagaq a été obligée de voir le film de Flaherty», relate Isabella Huberman. «Elle a ressenti un grand malaise.»

Pour la chercheuse, la mise en musique par Tanya Tagaq et la tournée pancanadienne qui a suivi représente un moment clé dans l’histoire du film.

D’autant plus que les bandes sonores contribuent à la caricature, comme le laisse entendre un Inukjuamiuq (habitant d’Inukjuak) dans un court film préparé pour le centenaire de Nanook of the North.

«C’était un geste de souveraineté culturelle», croit Isabella Huberman. «Elle a repris le matériel et l’a resignifié. C’est très puissant ce qu’elle a fait.»

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Un centenaire souligné

Le débat qui entoure Nanook of the North n’empêche pas Inukjuak de célébrer, ces jours-ci, le centenaire de son résident le plus célèbre. Un festival attire des musiciens et artisans du Groenland et du Nunavut.

«Des gens montreront le mode de vie traditionnel des Inuit pour que ce soit éducatif», précise Shaomik Inukpuk.

L’organisme The Flaherty, qui encourage l’échange et l’introspection chez les cinéastes et les universitaires, et dont Genevieve Yue est administratrice, soulignera aussi l’anniversaire du film en publiant un recueil sur l’héritage complexe de Nanook et en menant un projet archivistique.

La professeure new-yorkaise invite à se poser la question «À qui appartient le film?»

«Qui réclame ce film? Flaherty? Les Inuit? Les descendants des acteurs? Qui peut dire comment un film peut être compris? J’aime cette question parce qu’on ne peut pas y répondre», conclut-elle.

Auteur

  • Andréanne Joly

    À titre de journaliste et de rédactrice, Andréanne Joly couvre les communautés francophones de l'Ontario et du Canada depuis 25 ans. Elle collabore notamment avec Francopresse, Le Voyageur de Sudbury et L'Express de Toronto. Elle travaille principalement à des dossiers liés à l'histoire, à la culture et au tourisme.

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