Droits des mendiants: la riposte juridique s’organise à Toronto

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Un mendiant demandant l'aumône dans la rue. Photo : Acadie Nouvelle, via Francopresse
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Publié 27/11/2021 par Clément Lechat

Accablés d’amendes «époustouflantes», mais incapables de payer. Chaque année, des mendiants ontariens, qui sont souvent aussi sans-abris, se retrouvent dans cette situation depuis l’entrée en application de la loi ontarienne «sur la sécurité dans les rues».

Le texte de 1999 interdit toute forme de sollicitation dite «agressive» dans l’espace public, comme la mendicité et le nettoyage de pare-birses contre de l’argent, le squeegeeing.

«Il s’agit de milliers, voire des dizaines de milliers de dollars d’amendes», précise maître Nicolas Rouleau, avocat de Fair Change dans l’affaire qui oppose depuis 2017 cette clinique juridique au gouvernement de l’Ontario.

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Nicolas Rouleau. Photo: courtoisie

«Malheureusement, le langage de la loi est plutôt vague, ce qui donne aux forces de l’ordre une large discrétion dans son application», indique l’Observatoire canadien sur l’itinérance (OCI).

Discriminatoire

Fair Change a porté plainte contre la loi sur la sécurité dans les rues avec pour objectif de la faire déclarer anticonstitutionnelle. Après quatre ans de procédure, l’avocat devrait plaider le dossier au printemps prochain devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

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Atteinte à la liberté d’expression, mise en danger du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité, présomption d’innocence bafouée, soumission à des peines et des traitements cruels, inégalité devant la loi… Nicolas Rouleau est convaincu que le texte s’oppose à cinq sections de la Charte canadienne des droits et libertés.

«La loi discrimine un groupe frappé de façon plus sévère par des dépendances, des maladies mentales, qui est disproportionnellement autochtone ou même jeune», note-t-il.

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Les Autochtones sont surreprésentés parmi les sans-abris. Capture d’écran : Rapport de la Ville de Toronto «Street Needs Assessment», 2018

On compte en effet 16% d’autochtones parmi les sans-abris, selon une enquête de la ville de Toronto publiée en 2018. Pourtant, ils ne comptent que pour 1 à 2.5% de la population municipale. La prévalence de LGBT est elle aussi plus importante, avec environ un quart des sans-abris s’identifiant comme tel.

Or, la section 15 de la Charte protège techniquement ces différents groupes contre les discriminations.

Mendiants et squeegees

Initialement, la loi était une réponse au phénomène des «squeegees». Ces nettoyeurs de pare-brises étaient très actifs dans les années 1990 et 2000. La vague s’est depuis retirée, mais la loi a perduré.

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«Les squeegees dérangeaient. Ils pouvaient être un peu agressifs pour demander de l’argent. Pour le gouvernement conservateur (de Mike Harris) dans le temps, c’était prioritaire de solutionner la question des squeggees», se rappelle Renaud Saint-Cyr, directeur général d’Alpha Toronto et travailleur social.

«Est-ce que c’était vraiment un énorme problème? Non, je ne pense pas.»

Renaud St-Cyr. Photo: Jimmy Mavuba

Les articles ciblant les squeegees avaient été attaqués en 2001 dans l’affaire R. contre Banks. Les tribunaux ontariens n’avaient finalement pas donné raison aux requérants, qui voulaient faire reconnaître l’anticonstitutionnalité de certaines dispositions du texte.

À l’inverse, la requête de Fair Change se veut «plus vaste». Elle attaque la loi contre les mendiants dans son ensemble.

«C’est vraiment cruel de continuer à imposer ces restrictions envers cette population», s’offusque maître Rouleau.

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«Elles n’ont plus aucun objectif étant donné que les squeggees ne sont plus un problème significatif. Et le fait qu’une disposition criminelle (l’article 430 du Code Criminel) empêche les méfaits. Et pourrait être utilisée pour éliminer tout comportement abusif ou intimidant de la part de ces individus», explique-t-il.

Cycle de pauvreté

Fair Change attend désormais la preuve en réponse du gouvernement de l’Ontario. Une «contre-argumentation» qui devrait être remise au tribunal d’ici la fin novembre.

Son avocat assure que les effets négatifs de la Loi sur la sécurité dans les rues se font toujours ressentir. Cette année encore, des sans-abris se sont présentés à la clinique juridique avec des amendes impayables de plusieurs milliers de dollars.

«C’est vraiment un problème énorme lorsqu’ils tentent d’intégrer une situation plus régularisée, et d’obtenir des cartes de crédit, des appartements ou des emplois. Évidemment, si quelqu’un a 40 000 $ d’amendes impayées, cela détruit totalement le score de crédit», se désole Nicolas Rouleau.

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Un homme dort dans la rue Bay à Toronto. Photo: François Bergeron

De 50 $, jusqu’à 500 $ pour la première infraction… Les mendiants risquent gros en faisant la manche dans l’espace public. «Ces amendes flottent au-dessus d’eux», regrette l’avocat.

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Les sanctions peuvent atteindre les 1 000 $ en cas de récidive, possiblement assorties d’une peine de prison de six mois maximum. Or, au-delà de 30 jours d’incarcération, les prestations sociales provinciales peuvent être retirées, compliquant ainsi leur réinsertion dans la société.

Au final, cloués dans un «cycle de pauvreté», les sans-abris ont de moins en moins de chances de sortir de leur situation. «Pour essentiellement aucun bénéfice public. Ce n’est pas comme s’ils payaient leurs amendes pour enrichir le trésor public», souligne maître Rouleau avec une pointe d’agacement.

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Les résultats de l’étude de Fair Change. Infographie: Fair Change

En effet, Fair Change avait estimé en 2015 que l’exécution de cette loi coûtait plus qu’elle ne rapportait à la province. Approximativement 2 millions $ chaque année, alors que 99% des amendes restent impayées.

Changer les mentalités face aux itinérants

Avec ce jugement à venir, Fair Change espère attirer l’attention médiatique sur la situation des mendiants, voire changer les représentations qui entourent ce groupe marginalisé.

Selon l’avocat de la clinique juridique, la loi participerait activement à l’entretien de stéréotypes et de préjugés à leur encontre, en suggérant qu’ils seraient plus agressifs que la plupart des gens. Une idée encore plus prégnante contre ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale.

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«Si moi je demandais de l’argent à quelqu’un, c’est certain que je ne me ferais pas reconnaître coupable par cette loi. Tandis que si un mendiant se comporte de la même façon…», estime-t-il.

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Un itinérant dort sur le trottoir dans le quartier Riverside. Photo: François Bergeron

Néanmoins, Nicolas Rouleau observe une dynamique positive au sein de la société. Les lignes semblent bouger, et le public juge moins sévèrement les sans-abris qu’autrefois.

«Aujourd’hui, on comprend beaucoup mieux que cette population n’est pas simplement à mendier par choix. Souvent, il y a des problèmes de santé qui font en sorte qu’elles se retrouvent dans la rue, ou de sécurité. Ce sont souvent des victimes qui ont fui des contextes dangereux avec des conjoints abusifs.»

«On comprend maintenant que cette population n’est pas dangereuse. Mais la loi, elle, fait comme si nous n’avions pas compris cela, et les traite comme si on devait en avoir peur. Tandis que nous comprenons qu’ils ont besoin d’aide, de sympathie, de compassion», ajoute-t-il.

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L’édifice de la Cour suprême du Canada, à Ottawa. Photo: Ericka Muzzo, Francopresse

En cas de victoire en première instance, l’avocat espère que le gouvernement s’inclinera et ne demandera pas d’appel. En dernier recours, maître Rouleau se dit prêt à aller jusqu’à la Cour Suprême.

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Cependant, il faudra convaincre l’institution que l’affaire revêt un intérêt national, ce qui n’est pas gagné d’avance. Ses 9 juges n’avaient pas accordé d’appel dans l’affaire R. contre Banks.

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