Saloum au TIFF : rarissime film fantastique africain

Rencontre avec le réalisateur Jean-Luc Herbulot

Jean-Luc Herbulot, Saloum
Des personnages aux gueules uniques dans le film fantastique Saloum, de Jean-Luc Herbulot.
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Publié 14/09/2021 par Zefred

Jean-Luc Herbulot, réalisateur africain né au Congo (Dealer, Sakho et Mangane), apporte au TIFF 2021 Saloum, le premier film africain sélectionné dans la section Midnight Madness de toute l’histoire du festival, et en français et wolof s’il vous plaît!

La première projection a lieu ce jeudi 16 septembre. Nous avons rencontré le réalisateur pour parler de cet événement, du film, et du nouveau cinéma africain.

Jean-Luc Herbulot
Jean-Luc Herbulot, réalisateur de Saloum.

Saloum commence comme un film d’action… se développe en un lent thriller… se termine comme un film d’horreur surnaturel?

À la base on est parti en weekend dans le Saloum (une région du Sénégal), avec Pam ma partenaire et productrice, qui est de là-bas. On venait de (re)monter notre structure de production. Je suis tombé amoureux de la région.

Elle, étant locale, adorait déjà le coin, et on s’est dit que notre premier film devait absolument se faire là. Des convergences sont apparues, qui font que nous avons créé LAKMÉ films, pour montrer les légendes. les monstres, les mythes, les héros, et tout le reste qu’on ne montre pas de l’Afrique.

Et du coup on a commencé avec ce projet. Il y avait une espèce de mélange entre l’amour de la région, l’amour du Sénégal, ce qu’on peut y voir… C’est pour ça que le film peut à certains moments faire peu pub touristique du Saloum,

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Il y avait aussi l’amour des films de genre avec lesquels on a grandi. On a d’abord eu l’idée ensemble d’un camp ou des gars vont se planquer pour faire profil bas, et où tout va partir de travers, un peu comme dans From Dusk Till Dawn de Tarantino.

Puis, quand je me suis isolé pour écrire, sont nées Les Hyènes de Bangui, et tout ce qui tournait autour d’eux: leur histoire, qui ils sont, leurs relations, ce qui va leur arriver… Et aussi l’histoire de Kana Sira Bana qui est une vraie légende du Saloum.

Quand on fait des recherches, on trouve des histoires de malédiction un peu partout dans cette région et en Afrique. Le raid montré dans l’introduction du film est aussi vraiment arrivé à Bissao en 2003.

Donc, ceux qui sont un peu curieux de la géopolitique africaine, des mythes et des légendes, vont rapidement se retrouver plongés dans des choses assez intéressantes. Après avoir vu le film, faites des petites recherches. Je vous promets des résultats super intéressants.

Jean-Luc Herbulot, Saloum
Une scène inquiétante de Saloum.

Le folklore, les légendes et les paysages d’Afrique sont très nombreux et semblent offrir une mine de scénarios. Allez-vous vous spécialiser dans ce genre?

Oui et non, Paméla et moi adorons le cinéma de genre, mais aussi les comédies, comme Lubitsch pour moi.

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On développe des projets différents. Il y a un projet d’échange de corps entre deux femmes en Côte d’Ivoire, dans un mélange de série sociale et fantastique, genre Code Quantum avec deux femmes qui parlent de la condition féminine en Afrique de l’Ouest. Puis un péplum…

Bref, notre ADN est de mélanger des sujets sérieux avec du genre. Et surtout, sans aller contre la majorité des films africains contemporains, en voulant proposer quelque chose d’autre, qu’on ne se fait quasiment pas aujourd’hui sur ce continent.

Ya-t-il une infrastructure pour faire du cinéma en Afrique?

Nous avons fait face à moins de difficultés qu’on pourrait le croire. Il y a tout ce qu’il faut du côté technique, et on a beaucoup moins de problèmes de bureaucratie, ce qui nous permet de pouvoir faire un peu les fous.

D’ailleurs, nous venons de terminer un autre film, et on a eu une liberté de dingue. On peut faire quasi tout ce qu’on veut, pour un moindre coût.

Mais aussi surtout, en Afrique, il y a énormément de gens ultra-motivés qui ont vraiment envie de faire des choses, puisqu’il y en a eu si peu avant. Et ça porte les films vers un niveau au-dessus.

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Je ne suis même pas sûr qu’il y ait déjà eu un film comme Saloum fait en Afrique. C’est le premier jalon de collaboration qu’on aimerait monter avec les États-Unis, ou un autre continent que l’Europe, puisqu’il y a déjà beaucoup de liens entre l’Europe et l’Afrique. L’idée est de commencer à créer d’autres ponts.

La direction photo de film est très soignée et présente beaucoup de plans type cartes postales?

 Ce qu’on voit dans le film, c’est un dixième du Saloum. Normalement on devait faire le film entièrement dans le camp. Puis je suis allé faire mes repérages et je me suis dit que ce ne serait pas possible tellement les paysages autour étaient incroyables.

Puis, les autorisations au Sénégal, c’est par région, pas par rue. Donc on se retrouve beaucoup moins limité, et forcément, on en a profité un peu (rires) et donné au film ce look très carte postale.

C’était peut-être aussi pour que les touristes qui viennent au Sénégal voient qu’il n’y a pas que Dakar, et découvrent le reste du pays.

On ne pouvait pas montrer tout le Saloum dans un seul film. Et on voulait rendre hommage à ceux qui nous ont accueillis là-bas.

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Ce n’est pas une région où tu peux juste arriver, poser ta caméra et tourner. Il faut faire pas mal de choses avant de pouvoir tourner. On voulait remercier les gens qui nous ont permis de faire ça parce que ce n’est pas donné à tout le monde.

Jean-Luc Herbulot, Saloum
Des influences de Western Spaghetti dans Saloum, tourné au Sénégal.

Quelles sont vos influences pour Saloum et pour votre art en général?

 J’ai toujours un peu la même réponse à cette question. Sur mon premier film j’avais des influences polar, urbain, proches de Nicolas Winding Refn (Pusher, Neon Demon, Valhalla Rising).

Mais sur Saloum, à part l’influence narrative du twist de genre au milieu de l’histoire, je n’avais pas vraiment beaucoup de références, car je voulais que le film soit assez unique dans son genre.

Cela dit le film a été pensé à une époque où je jouais beaucoup à Red Dead Redemption et Metal Gear… Donc si Saloum a des influences, elles sont plutôt là, dans les jeux vidéo (rires). En plus, comme on était enfermé au Saloum, je n’avais rien pour regarder des films.

Sinon, mes influences en général vont de Park Chan Woo, Kim ji woon, et Coppola, à Sergio Leone. On verra aussi sûrement un peu de Tarantino pour les parties humoristiques. Je suis plutôt fan du cinéma européen et américain des années 70.

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Mais c’est difficile de parler de références quand on parle de cinéma africain. Surtout pour un film comme celui-ci, qui n’a pas vraiment d’antécédents dans la culture du continent.

Comme il n’y a pas de films africains dans ce genre, on se retrouve vite très seul sur le terrain. On défriche. J’espère qu’il parlera aux Africains, mais aussi aux Américains, Européens et à tout le monde en fait (rires).

Comment avez-vous géré la logistique de tournage et la technique si vous étiez dans des zones isolées?

En souffrant (rires). C’est la meilleure réponse que je peux vous donner. Il y a une photo du tournage ou on nous voit tous pousser un bus, et ça représente bien Saloum pour moi. Tout le monde a mis la main à la pâte.

On dormait tous dans le même camp (celui dans lequel se déroule le film) sans confort ni chambres VIP. On en a bavé. Je pense que j’ai perdu 10-15 kilos en 4 semaines. Il a fallu apporter tout l’équipement avec nous, tout stocker au camp. La ville la plus proche était à 1 heure de route, donc il ne fallait pas oublier sa brosse à dents.

Et puis la nuit on n’avait pas de courant. Car, comme mentionné dans le film, si tu veux éviter que les esprits soient là, tu évites d’utiliser l’électricité.

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Dans le Saloum dans le film, mais aussi dans la réalité, il y a toujours cette idée qu’il y a des endroits qui ne doivent pas être éclairés la nuit, et donc tu les évites de peur de te perdre, même avec les phares allumés.

Et il y a aussi beaucoup de hyènes là-bas. Mais ironiquement, on a pas réussi à les filmer alors que nos personnages s’appellent les hyènes de Bangui.

On était ravitaillés toutes les deux semaines, et on n’avait pas de réseau téléphonique, pas d’internet, pas de films… Voilà, on a passé 5 semaines comme ça.

On a tourné beaucoup plus que ce qu’on voit dans le film. On avait un premier montage de 2h20 qu’on a beaucoup élagué, y compris beaucoup de scènes d’histoire personnelle des personnages. On a vraiment conservé l’essentiel.

Jean-Luc Herbulot
Une scène de Saloum: film de monstres? de zombies? de phénomènes surnaturels?

Y aura-t-il une version longue de Saloum?

Je ne pense pas. Ce n’est pas une question de qualité des scènes, mais plutôt de tonalité de celles-ci dans l’unité du film. On a essayé d’avoir le meilleur équilibre pour le film, et ces scènes coupées ne participaient malheureusement pas à un équilibre général.

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Quel est votre meilleur ou pire souvenir du tournage?

La fin (rires). Non, vraiment, c’était tellement un bon moment parce qu’on a tous réalisé qu’on avait réussi notre pari.

Ce genre de film n’avait jamais été fait. Et donc on a prouvé que c’était possible. Et qu’on peut faire des films au Sénégal, au sein de cette nouvelle industrie qui est en train de se construire.

Et on l’a doublement prouvé avec le nouveau qu’on vient de finir de tourner il y a un mois, et dont je ne peux pas trop parler pour le moment. C’est un proche cousin de Saloum, mais beaucoup plus urbain, en plein Dakar. Et un peu moins sombre, plus dans la comédie. On espère le livrer en 2022.

Donc, allez voir Saloum, et le prochain arrive dans un an (rires)!

Auteur

  • Zefred

    Cinéaste, musicien et journaliste à mes heures, je suis franco canadien torontois, épicurien notoire et toujours prêt pour de nouvelles aventures.

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