Nostalgie tricotée serrée

Michel Jetté, La ruelle en arrière d’la maison, carnet, Montréal, Éditions Fides, 2019, 296 pages, 26,95 $.
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Publié 23/06/2019 par Paul-François Sylvestre

Dans un quartier ouvrier d’une petite ville sans nom, un garçon de «pas encore sept ans» raconte une époque que les plus vieux pourraient se remémorer avec gaieté ou nostalgie et les plus jeunes avec étonnement, voire incrédulité.

«Théâtre d’un jeu dramatique, dont nous étions à la fois acteurs et spectateurs, la ruelle en arrière d’la maison était notre scène, notre plateau.» D’où le titre du carnet de Michel Jetté : La ruelle en arrière d’la maison.

La grande roue du progrès

Nous sommes au milieu du siècle dernier où l’arrivée du gros réfrigérateur Westinghouse met bien involontairement à la retraite le livreur de glace, qui «faisait office de rapporteur officiel pour maman (…) enclavée entre les enfants et la cuisine, le reprisage et les devoirs».

La grande roue du progrès s’oppose, ici, à la nostalgie d’une époque révolue où la radio Admiral AM bleu pâle régulait le rythme de la maisonnée avec «ses bulletins de nouvelles, ses radioromans, le signal horaire de l’Observatoire national à midi et son opéra du Met le samedi après-midi».

La télévision arrive avec la face du Sauvage et les oreilles de lapin qu’il faut rediriger pour «arrêter l’image de s’étirer, de s’amincir, de bâiller, de tourner, de diagonaliser, de sauter, de pâlir, de foncer, de neiger».

Un petit garçon «différent»

Tel que mentionné plus haut, le narrateur est un petit garçon de pas encore sept ans, qui est «différent des autres», sans plus de précisions; chose certaine, il est sensible et rusé. «Je prenais l’argent à déposer dans mon compte de caisse scolaire et j’achetais des Chinois en donnant les sous à la Sainte-Enfance à la place.»

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Il nous conduit au dépanneur du coin, ce qui ramène les Life Savers, les boîtes de Cracker Jack, les bonbons à la cenne, les Popsicles, les Revello, les briques de «crème à glace» trois couleurs, la bière d’épinettes, l’orange Crush, les machines à gomme et à pinottes. L’Almanach du peuple y trône près des cigarettes et du tabac à pipe.

Le magasin agit aussi comme un confessionnal «où s’échangeaient, outre les dollars et les pièces, les racontars et les secrets jusque-là bien gardés. On aurait pu y remplir de gros sacs de papier brun de médisances et de calomnies, à la seule écoute de certaines langues bien pendues.»

Quand un cigare est un cigare

Le style de Michel Jetté est coloré ou imagé. Ainsi, quand un des hommes réunis autour d’une tasse de thé bien tassé lève la voix, on peut «entendre tonner la chute du Diable». Un autre a «des mains larges et épaisses comme des pelles à gravois de couvreurs». Et pour un enfant qui essaie de fumer un cigare, cela lui fait «tourner la tête comme ces chevaux des fêtes foraines».

En passant, le cigare est un White Owl, exactement celui-là que mon grand-père Parent fumait en 1955 et qu’il demandait sous le nom de Chouette blanche… à Windsor (Ontario). Beau souvenir!

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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