Marraine, un premier roman réussi à plusieurs égards

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Publié 12/06/2007 par Paul-François Sylvestre

Originaire de Fauquier, dans le Nord-Est ontarien, Hélène Koscielniak (née Poitras) signe un premier roman intitulé Marraine, qui s’étend sur 550 pages. Entreprise de taille pour une néophyte qui, je le souligne tout de go, a réussi à bien architecturer son projet d’écriture, à bien camper ses personnages et à bien mener son intrigue.

Marraine met en scène des personnages attachants. D’abord Normande et Gilles Viau, un couple qui n’a pas d’enfant et qui vit à Kapuskasing en 2004. Puis Gabriella Vellera et ses enfants qui vivent dans un bateye ou agglomération pour travailleurs agricoles remplissant les tâches de coupeurs de canne à sucre, à la frontière de la République dominicaine et de Haïti. À l’insu de son mari, Normande s’inscrit auprès de l’agence Secours aux démunis et elle marraine le jeune Jolino, 10 ans, fils de Gabriella.

Le lecteur est dès lors plongé dans deux univers contradictoires: pauvreté vs aisance, être vs paraître. La partie du roman qui se passe à Kapuskasing se loge à l’enseigne de la clandestinité puisque Normande cache sa démarche de marraine à son mari. Celle qui se déroule en République dominicaine est teintée à la fois d’intrépidité et d’interdiction puisque Gabriella est une mère batailleuse et une femme qui allume le désir chez un autre Canadien, le missionnaire Mark Gilman, né à Toronto.

On sent que la romancière a beaucoup réfléchi à la psychologie de ses personnages. Elle écrit que Normande trouvait heureux que, grâce à son cerveau, «l’être humain puisse garder secret son monde intérieur! […] Il était possible de vivre toute une vie clandestine dans ce cosmos intime sans que quiconque ne s’en aperçoive.»

Dans le cas de Gabriella, elle nous la montre en train d’accoucher, se demandant si son enfant va naître pessimiste, mélancolique, craintif… «Le mal de la pauvreté allait-il jusqu’à fouiller les entrailles d’une mère pour léser une vie avant même qu’elle ne voie le jour?»

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Les deux femmes échangent de nombreuses lettres et le lecteur ne tarde pas à se rendre compte que, malgré leur différence de culture et de statut social, elles demeurent fort semblables par leur condition féminine. Ces missives sont souvent un bijou d’introspection et un exemple de solidarité. Pour Hélène Koscielniak, les hommes ont tendance à voir les choses en noir et blanc, alors qu’«un cœur de mère perçoit les subtiles nuances». Difficile alors de «faire taire les interrogations amères [à mère] qui surgissent».

J’ai eu l’impression que la romancière a imaginé le personnage du missionnaire Mark Gilman dans le but de pouvoir exprimer certains questionnements vis-à-vis de l’Église catholique. À titre d’exemple, elle décrit le père Mark comme un homme engagé qui veut améliorer le sort des pauvres et des démunis en posant des gestes concrets, comme militer en faveur du syndicalisme. Son évêque l’exhorte à faire attention car il ne faut surtout pas que l’Église contrarie le pouvoir politique. Le père (l’auteure) lui répond: «Vous n’étiez pas là, vous, Monseigneur, lorsqu’on a trouvé la jeune Marielle Soriet, le crâne défoncé à coups de crosse de fusil, le vagin déchiré, les seins couverts de morsures de chiens! […] Non! Vous n’étiez pas là! Et laissez-moi ajouter, Monseigneur, que le très Saint-Père n’y était pas, lui non plus!»

Signer un premier roman de 550 pages est une aventure périlleuse. Aussi, Marraine souffre-t-il de quelques mauvais pas. La langue vernaculaire a sa place dans les dialogues. Gilles Viau peut bien dire «J’comprends pus rien à tes histoires, tabarslac!», mais il me semble y avoir vice d’écriture lorsque la romancière écrit, dans la narration, que «Le pire, c’est qu’i a des imbéciles qui se laissent avoir par ce genre de publicité!»

Le plus important accroc, dans ce roman, réside dans le fait que ni l’auteure ni l’éditeur n’ont suffisamment resserré le texte. Le petit Jolino se rend au marché avec le père Mark. «Un bazar de couleurs, d’odeurs, de clameurs et de chaleur», écrit la romancière qui a tendance à vouloir tout décrire, tout raconter, tout dévoiler. D’un chapitre à l’autre, le roman regorge de détails souvent inutiles. Pour paraphraser l’auteure, je dirais que c’est un véritable bazar de descriptions, de considérations, de réflexions et d’émotions.

Hélène Koscielniak en met un peu trop, à mon avis. Cela se produit souvent lors d’un premier roman. On s’y consacre corps et âme, on estime que tout doit être dit, on ne veut rien élaguer. L’éditeur doit mettre les freins et jouer un rôle plus actif de réécriture.

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Cela dit, je reconnais que l’auteure excelle dans l’art de décrire des scènes d’action et d’émotion avec une rare précision. J’espère qu’elle songe déjà à écrire un autre roman, peut-être une suite puisque la dernière phrase de Marraine ouvre déjà la porte…

Hélène Koscielniak, Marraine, roman, Ottawa, Éditions L’Interligne, coll. «Vertiges», 2007, 552 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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