Disparition des animaux: 60% de quoi?

«La Terre a perdu 60% de ses animaux sauvages en 44 ans»... Mais quand on lit le rapport qui a inspiré cette manchette, des nuances s’imposent.
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Publié 10/11/2018 par Pierre Sormany

Le constat semblait sans appel la semaine dernière: «la Terre a perdu 60% de ses animaux sauvages en 44 ans», a-t-on pu lire dans de nombreux médias. Pourtant, quand on lit le rapport qui a inspiré ce titre d’agence de presse, des nuances s’imposent.

Le 29 octobre, la WWF (World Wildlife Fund) publiait la 4e édition de son rapport annuel Living Planet Report, qui contenait un constat désespérant sur les écosystèmes de la planète.

On a si souvent entendu les cris d’alarme des scientifiques face à l’extinction massive des espèces, la surexploitation des océans et la disparition des habitats sauvages, que la statistique 60%, relayée par tous les grands médias, n’a étonné personne, semble-t-il. Pourtant, ce n’est pas exactement ce que dit le rapport.

4000 espèces étudiés

Celui-ci dit plutôt que la Terre a perdu, en moyenne, 60% des populations des 4000 espèces étudiées par la WWF.

Ce chiffre ne provient pas d’un dénombrement de l’ensemble des espèces animales de la planète. Un tel dénombrement n’existe pas, et il serait impossible à faire si on pense notamment aux insectes: on estime en effet que 50 à 90% des espèces d’insectes sur la planète sont encore inconnues.

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D’où viennent ces 60%, alors?

En premier lieu, il s’agit d’un «indicateur», c’est-à-dire une mesure qu’utilise la WWF pour évaluer l’évolution de la biodiversité au fil des années.

Indice de la vie sauvage

Cet «indice de la vie sauvage» (WLI, en anglais) ne prend en cause que l’évolution des populations des animaux vertébrés, plus précisément les oiseaux, les mammifères, les poissons, les reptiles et les amphibiens, des espèces dont le dénombrement est plus facile.

Une «population», cela peut être, par exemple, les bélugas du Saint-Laurent, ou les rainettes faux-grillon de Montérégie.

En second lieu, la WWF se base sur une revue la plus exhaustive possible de la littérature scientifique. Sa base de données compte désormais des études sur un peu plus de 22 000 populations, mais pour permettre un suivi depuis plus de 40 ans, l’organisme a retenu les données de 16 704 populations, couvrant 4005 espèces différentes.

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5,8% des 69 276 espèces de vertébrés connues

Première remarque: cet inventaire d’espèces ne représente que 5,8 % des 69 276 espèces de vertébrés connues. Bien peu pour justifier une extrapolation sur l’ensemble des mammifères… et encore moins sur l’ensemble des animaux!

Deuxième remarque: les scientifiques ont, en général, tendance à étudier plus étroitement les populations vivant dans les écosystèmes menacés, ou de dénombrer les grands animaux «charismatiques» qui souffrent le plus de la présence humaine (comme les lions, les tigres, les éléphants ou les rhinocéros), plutôt que les animaux dont la survie n’est guère préoccupante (les ratons laveurs, les goélands ou les pigeons… dont les populations sont en augmentation chez nous).

Il est donc possible que les données sur le recul des populations étudiées ne soient pas représentatives de l’ensemble des vertébrés.

Europe et Amérique du Nord surtout

Par ailleurs, les espèces étudiées, beaucoup plus nombreuses en Europe et en Amérique du Nord, incluent plusieurs populations faisant l’objet de mesures de protection spécifiques et dont le recul est freiné, ainsi que des cas d’espèces envahissantes en forte augmentation. Pensons aux goélands de Montréal ou aux phoques du Golfe du Saint-Laurent.

Pour tenir compte de ces inégalités, les chercheurs de la WWF ont donc proposé une pondération de leur indice. Cela les conduit à une mesure globale de disparition près de trois fois plus élevée que ce que dénombrent les études brutes!

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C’est ainsi qu’ils en arrivent à écrire qu’en 44 ans (de 1970 à 2014), la taille des populations de vertébrés (et non la totalité des animaux) aurait diminué de 60% en moyenne. Cela signifie que, sur les 16 000 populations retenues par l’organisme, le recul  a été en moyenne de 60%.

Conclusion hâtive

Prenons un exemple simple, avec seulement trois populations.

– La rainette faux grillon de Montérégie a perdu 90% de son habitat au cours des 60 dernières années. Avec les informations partielles dont on dispose, cela représenterait une disparition de quelque 10 000 rainettes.

– La population de couleuvre à collier du Mont-Royal est en recul de 90% elle aussi. Dans son cas, ça représente une perte d’environ 300 individus.

– Choisissons une troisième population beaucoup plus nombreuse, disons 100 000 individus, qui serait quant à elle demeurée stable.

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On se retrouve bel et bien avec un recul moyen de 60% (90% pour les deux premières, et 0% pour la troisième). Mais le nombre total d’animaux perdus dans ces trois groupes, lui, n’est que de 10 300, sur une population initiale de 111 500, soit 9,3%.

Bref, le chiffre livré annuellement par la WWF est intéressant en tant qu’indicateur; mais il ne permet pas de conclure à la disparition de 60% des animaux sauvages

La perte de biodiversité demeure réelle

Est-ce à dire qu’on ne doit pas s’en préoccuper? Absolument pas. Car si le chiffre est à relativiser, le phénomène de la disparition des habitats naturels et de la perte de biodiversité demeure réel.

Une autre étude publiée le 30 octobre dernier a de nouveau confirmé l’ampleur des perturbations que l’espèce humaine fait subir aux écosystèmes, en mettant en évidence le cas des mammifères qui auraient, selon les auteurs, besoin de 3 à 5 millions d’années d’évolution pour retrouver leur biodiversité d’autrefois.

Selon la WWF, le rythme actuel d’extinction des espèces serait entre 100 et 1000 fois plus rapide que le rythme lié aux seuls phénomènes naturels. Pour reprendre les propos du journaliste Ed Yong, tout suggère une période «d’annihilation biologique» que certains ont assimilée aux cinq grandes extinctions de masse du passé.

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Bref, avec une réalité aussi inquiétante, pas nécessaire de titres sensationnalistes pour avoir de l’impact. Les faits suffisent.

Auteur

  • Pierre Sormany

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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