Vols d’identité et viols d’enfants

Sonia Perron, Billydéki, roman, Montréal, Éditions Fides, 2019, 170 pages, 24,95 $.
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Publié 05/05/2019 par Paul-François Sylvestre

Dans les années 1940, 35% des enfants décédaient dans les pensionnats pour Autochtones et 45% du personnel n’était pas suffisamment formé pour enseigner. C’est dans ce contexte que Sonia Perron situe son roman Billydéki qui décrit le calvaire de luxure que fait subir un prêtre à des enfants de cinq ou six ans.

L’action se déroule dans un pensionnat du Nord de l’Ontario, mais le lieu précis n’est jamais mentionné, sauf qu’il est situé près de la baie d’Hudson. Et comme un crucifix est inséré dans le ceinturon de la soutane du père directeur, je devine que ce sont des Oblats qui dirigent le pensionnat. Ce n’est pas dit explicitement, mais j’ai étudié chez cette congrégation à Ottawa.

Jeune métis

Les principaux personnages ont tous des surnoms. Le directeur du pensionnat est le père Aldéric Hébert, un père pervers nommé Celui par qui le mal arrive. Le frère enseignant qui va défroquer est Thomas Larin ou Celui qui est bon. Le nom du jeune métis Billydéki, qui renvoie au film Billy the Kid, est changé à Jean Lacombe et son ami le Petit est renommé Raymond-Marie Lacharité.

Billydéki doit attendre trois ans avant de revoir sa mère. Lorsqu’il passe quelques semaines avec elle et que le frère Larin va le reprendre, sa mère accuse le religieux de ne pas lui rendre son fils, de lui avoir volé son âme et même son nom. Difficile de ne pas y voir un écho au mandat de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

Le monde des Blancs

Le pensionnat pour jeunes autochtones réussit sa mission. Comme «Dieu ne comprend pas la langue indienne, il est impératif de tuer l’Indien dans l’enfant afin que celui-ci puisse intégrer le monde des Blancs. Un monde où on respecte Dieu, un monde sans luxure, sans péché.» Ironie du sort, ce sont la luxure et le péché de l’impureté auxquels ils sont confrontés.

Certains frères ont les mains longues pour attraper et violer des garçons de six ou sept ans. Le père Hébert a son manège : bonbons-douceur-incitation-caresses-viol. «Le diable mène le bal. Après, mon corps fait le reste. Je sais que c’est mal, mais c’est plus fort que moi. » L’univers d’Hébert est composé de « ses petits, de ses angelots» qui tombent dans les mains d’un démon, comme lui-même est tombé, enfant, dans les griffes de son parrain.

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Meurtre en 1945

Roman psychodramatique, Billydéki est aussi un polar, car une affaire d’agression sexuelle est doublée d’un possible meurtre le 19 juin 1945. Une plainte n’est portée que 25 ans plus tard; la chasse pour retrouver Billydéki, le Petit et le père Hébert nous amène dès lors aussi bien en Californie qu’en France. C’est la Sûreté du Québec (SQ) qui enquête car la plainte est déposée près de Montréal.

L’enquêteur est un Noir et quand l’auteure décrit sa relation sexuelle avec une employée blanche de la SQ, elle ne dit pas qu’il fait l’amour, mais qu’il «pénètre enfin dans le plaisir» de l’élue de son cœur.

Tendresse et affection

Sonia Perron aime s’arrêter à des marques d’attention presque anodines, soulignant ainsi qu’un personnage très secondaire mais très sympathique prépare pour Thomas Larin «des tisanes à la camomille, de la tarte aux pommes et une bouillotte chaude pour la nuit».

Billydéki est un roman qui décrit une terrible réalité. Le mérite de l’auteure est de tremper sa plume dans une encre de tendresse et d’affection, faisant ainsi jaillir la lumière des ténèbres.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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