Vie professionnelle et amoureuse d’un bâtisseur

L’ingénieur et architecte Joseph-Émile Vanier (1858-1934) n’est pas très connu hors des milieux spécialisés de Montréal. Pourtant sa vie a été marquée par de grandes réalisations, professionnelles et personnelles. Danielle Brault brosse un portrait de cet homme dans un roman biographique intitulé Le Bâtisseur. On y découvre un Canadien français d’origines modestes, qui accède à un monde jusqu’alors réservé aux familles riches et anglophones.

La romancière décrit d’abord l’adolescence de Joseph-Émile, période qui préfigure déjà un être «enthousiaste, débordant d’énergie, capable d’affronter les inévitables embûches et doué pour trouver des solutions à tous les problèmes». Le jeune homme se sent destiné à la richesse et à la gloire, mais son père le prévient que de telles ambitions «amènent souvent des malheurs». Juste présage.

Joseph-Émile Vanier reçoit à 19 ans son diplôme d’ingénieur et d’architecte. Ce premier élève de l’École Polytechnique de Montréal croit que ce sont ses réalisations, et non ses diplômes, qui démontreront sa compétence.

Et elles sont nombreuses: construction d’égouts, tracés de chemins de fer et de tramways, plans de tunnels, installation et distribution d’éclairage électrique, église, etc. La vie amoureuse de Joseph-Émile occupe une place de choix dans ce roman biographique. Aux yeux de cet homme déterminé et autoritaire, «une femme n’existe que par le nom que l’on lui donne au moment du mariage.» Il croit fermement qu’une épouse est là pour soutenir son mari, lui obéir et élever ses enfants dans le respect de l’autorité du père.

L’épouse que Joseph-Émile choisit est une femme archi-catholique, convaincue que la douleur de l’enfantement est voulue par le Seigneur pour la «punir de forniquer avec un homme. C’est le châtiment du péché originel…»

Tout au long du roman, l’épouse s’acharne à dompter la nature charnelle de son mari. Elle sait qu’il est un coureur de jupons. Au début, le mari se confesse après chaque escapade extraconjugale, non sans se demander ce qui a été le moins important: amour porté à sa femme, manquement à son serment ou risque du scandale…

La recherche qui sous-tend ce roman historique est brillamment menée. Toute une pléiade de personnalités du Montréal de la fin du XIXe siècle vient se greffer aux multiples aventures de Joseph-Émile Vanier. Il y a le poète Louis Fréchette, le sculpteur Louis-Philippe Hébert, le peintre Henri Julien, l’ingénieur Cornelius Van Horne, le premier ministre Honoré Mercier, l’archevêque Mgr Bruchési, pour ne mentionner que les plus connus.

Amateur de cigares, de bons vins et de femmes plus jeunes que lui, Joseph-Émile Vanier mène souvent une vie frivole en dehors de ses heures de bureau.

Son ascension dans le monde des affaires se fait à une époque marquée par la grippe espagnole, les années folles, le krach bousier et la Grande Dépression – autant d’événements que l’auteure intègre en filigrane dans son récit.

Au début des années folles, la jeune secrétaire de Joseph-Émile devient sa maîtresse, puis sa seconde épouse. Un jour, lorsqu’il veut se faire pardonner un faux pas, le sexagénaire envoie un collier de perles à sa douce moitié, avec ces mots: «J’ai enfilé tous les pardons que j’ai pu sur un fil. Le collier est-il assez long?» C’est la conclusion très inattendue du roman qui répondra brutalement à cette question.

Qu’il me suffise de vous dire que Le Bâtisseur est un ouvrage où Danielle Brault peint avec brio une toile qui juxtapose autant les teintes de la vie professionnelle que les tons de la vie familiale, amoureuse ou extraconjugale.

Danielle Brault, Le Bâtisseur, roman biographique, Sillery, Éditions du Septentrion, 2008, 712 pages, 37,95 $.