Vers un traitement asymétrique des langues officielles?

Une déclaration «historique»?

L'État fédéral est censé être bilingue... mais est-ce que ça suffit?
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Publié 27/09/2020 par Bruno Cournoyer Paquin

La «protection des deux langues officielles» fait l’objet de neuf lignes dans le discours du Trône présenté le 23 septembre. On y souligne l’importance de «protéger et de promouvoir le français non seulement à l’extérieur du Québec, mais également au Québec» et le gouvernement s’y engage à «renforcer» la Loi sur les langues officielles (LLO) «en tenant compte de la réalité particulière du français.»

En entrevue avec Francopresse, la ministre des Langues officielles et du Développement économique, Mélanie Joly, souligne que «c’est vraiment historique dans le discours du Trône qu’on fasse référence […] [au fait] que le français doit être protégé de façon particulière au Canada. Il n’y a jamais eu de déclaration du gouvernement fédéral à ce sujet-là. Je pense que ça, c’est vraiment un pas dans la bonne direction, parce qu’on sait qu’il y a un recul du français au pays, et qu’on doit agir.»

La ministre des Langues officielles, Mélanie Joly, et le président de la FCFA, Jean Johnson.

Une première

Le politologue Rémi Léger, de l’Université Simon Fraser, confirme que ça «détonne avec le message habituel du gouvernement fédéral, pas seulement du Parti libéral. Normalement, au fédéral, on parle des deux langues officielles, du statut de nos deux langues officielles, de l’égalité des deux langues officielles.»

Rémi Léger

«De mémoire, c’est la première fois que je vois le gouvernement reconnaître une asymétrie entre les langues, qu’on demande depuis des décennies, mais c’est la première fois que je le vois articulé comme ça dans une phrase», ajoute-t-il.

Mario Beaulieu, porte-parole du Bloc Québécois sur les langues officielles, estime lui aussi que «c’est vraiment une grande première, je pense, qu’on mentionne qu’il faut protéger le français partout, y compris au Québec». Il ajoute qu’il attend cependant de voir quelles actions vont suivre de la part du gouvernement.

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Mario Beaulieu

Le porte-parole en matière de langues officielles du Parti conservateur du Canada, Alain Rayes, considère que pour les libéraux, la protection de la langue française «c’est secondaire, ce n’est pas vraiment important. C’est correct de déchirer sa chemise sur la place publique et de dire que le français est important, mais encore faut-il que ça se concrétise en actions concrètes quand c’est le temps. Et ils ont eu des opportunités, mais ils ne l’ont pas fait.»

Renforcer au lieu de moderniser

Le sénateur René Cormier s’inquiète du glissement sémantique du gouvernement par rapport à la Loi sur les langues officielles. «Je pense que c’est préoccupant que le mot moderniser ait été remplacé par le mot renforcer. Quelle est l’intention du gouvernement?»

René Cormier

Une préoccupation que partage la politologue Stéphanie Chouinard, professeure au Collège militaire royal du Canada. «Je crois que certaines personnes vont interpréter ça comme une modernisation ou une refonte de la Loi sur les langues officielles, je suis peut-être moins optimiste. Parce que si on avait voulu parler d’une refonte on aurait utilisé le mot refonte. Et là on parle de renforcement, ça pourrait être par l’entremise d’un règlement, ça pourrait vouloir dire un paquet de choses différentes.»

Pour le politologue Rémi Léger, «renforcer, c’est moins ambitieux». Pour lui, le changement de terminologie est «une reconnaissance de la part du gouvernement Trudeau qu’il n’y aura pas de modernisation tel que cela avait été promis, mais qu’on va plutôt cibler des choses plus précises, plus concrètes afin d’améliorer l’applicabilité de la Loi sur les langues officielles

Flou artistique

Même son de cloche du côté de la Fédération des communautés francophones et acadiennes (FCFA). Selon son vice-président, Patrick Naud, si on est «heureux qu’il y ait mention de [la Loi sur les langues officielles] dans le discours du Trône», les intentions du gouvernement demeurent floues. La FCFA s’attend à une «modernisation complète» de la Loi, pas seulement une modification des règlements d’application.

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Stéphanie Chouinard

De sont côté, Alain Rayes du Parti conservateur se questionne sur les intentions du gouvernement. «Est-ce que ça veut dire que le gouvernement veut éviter de passer par une législation, puis juste faire un exercice réglementaire? Je pense que ce serait une grave erreur.»

«Aller encore plus loin»

La ministre Joly défend la terminologie employée dans le discours du Trône. «On veut vraiment démontrer qu’on a une vision ambitieuse pour la réforme de la Loi sur les langues officielles. Donc c’est pour ça qu’on a montré qu’on voulait aller encore plus loin et parler de renforcement plutôt que de modernisation.»

Patrick Naud

Questionnéev sur les intentions du gouvernement de «renforcer» la Loi à travers des modifications réglementaires, la ministre Joly soutient que le gouvernement «s’est toujours engagé à avoir un projet de loi, donc on entame les prochaines étapes pour faire en sorte qu’il y ait un dépôt de projet de loi.»

La ministre n’a toutefois pas voulu se donner d’échéancier à cet égard, car «on doit tenir compte du fait que, premièrement, on est un gouvernement minoritaire, donc on doit avoir l’appui des oppositions pour procéder. Deuxièmement, on doit s’assurer d’avoir non seulement l’appui des minorités linguistiques francophones et anglophones, mais aussi des majorités linguistiques, francophone au Québec et anglophone au Canada.»

Il faut mentionner que le gouvernement de Justin Trudeau s’était engagé à réviser la Loi sur les langues officielles à la veille de la dernière campagne électorale, en juin 2018. «Je peux confirmer que nous nous apprêtons à faire une modernisation. Nous allons travailler avec tous les Canadiens pour nous assurer que ce soit la bonne», avait-il dit devant la Chambre des communes.

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Le français au Québec

Selon la ministre Mélanie Joly, «les Québécois francophones, inquiets du recul du français au Québec, s’attendent à ce que le gouvernement fédéral fasse plus. Nous, ce qu’on veut reconnaître, c’est que le français, au pays et au Québec, doit être davantage protégé. Parce que c’est une langue minoritaire et qu’il y a seulement 8 millions de francophones dans un océan d’anglais, d’anglophones en Amérique du Nord, on doit agir».

Pour le débuté bloquiste Mario Beaulieu, «si le gouvernement [voulait] être cohérent», il appuierait le gouvernement du Québec dans sa volonté d’étendre la loi 101 aux organismes sous juridiction fédérale et supporterait le projet de loi que le Bloc québécois introduira à cet égard.

Il ajoute que le son parti «a toujours proposé que la loi 101, la Charte de la langue française, s’applique aux entreprises de compétence fédérale […] On s’attend à ce que le gouvernement ne fasse pas obstruction à cette loi, et même qu’il appuie notre projet de loi».

Alain Rayes, député de Richmond-Arthabaska et critique de l’opposition officielle au Patrimoine canadien, aux Langues officielles et au Développement économique du Québec.

Juridictions

Le député conservateur Alain Rayes souligne que la demande du gouvernement du Québec d’appliquer la loi 101 aux entreprises sous juridiction fédérale est appuyée par l’ensemble des partis d’opposition, à l’exception du Parti libéral. Selon lui, cela reflète que le gouvernement n’est pas sérieux dans sa volonté de promouvoir la langue française. «On sent des belles paroles, un beau discours vertueux, mais rien de concret pour répondre aux préoccupations des francophones partout au pays», précise-t-il.

La ministre Joly dit vouloir attendre la proposition du gouvernement du Québec avant de se prononcer. «On va attendre de recevoir le projet de loi. Mais une chose est sûre, pour ma part, dans les champs de juridiction dont je m’occupe, on va vouloir aller de l’avant pour promouvoir le français, tout en protégeant notre minorité linguistique [anglophone, NDLR] au Québec.»

Auteur

  • Bruno Cournoyer Paquin

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

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