Une tête de chou cathodique

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Publié 21/02/2006 par Dominique Denis

L’étude des rapports entre la chanson et la télé nous en dit long sur l’histoire du médium, mais aussi sur les artistes qui, en marge de la scène, occupaient le petit écran dès les années 50.

Brassens visitait les plateaux de télévision à contrecœur, et percevait l’entreprise comme une forme de torture par le biais de laquelle il se révélait néanmoins avec une lucide candeur. Brel investit la télé avec la même passion que la scène, y ayant trouvé un autre médium pour incarner ses chansons. Parallèlement, il jouait de l’interview en virtuose, avec un fascinant alliage de franchise et de mauvaise foi.

Et Gainsbourg? De dire que l’homme entretenait des relations ambiguës avec son image – et donc son image télévisuelle – relève de l’euphémisme. Chez lui, la provocation était l’envers de la timidité, les cigarettes (et les femmes) servaient d’accessoires, la séduction était sa revanche sur cette prétendue laideur que les angles de la caméra et la lumière des projecteurs mirent à nu, avant qu’il ne la tourne à son avantage, comme le brillant manipulateur et exhibitionniste qu’il était.

Suivant la parution de coffrets DVD consacrés à Brel et Brassens, justement, D’autres nouvelles des étoiles (Universal) rassemble l’essentiel du legs télévisuel de l’homme à la tête de chou: deux DVD, 81 chansons et près de cinq heures, riches de nombreuses entrevues (notamment avec la légendaire Denise Glaser) et d’une poignée de rencontres au sommet (Birkin et Bardot, of course, mais aussi Dutronc, Eddy Mitchell, Catherine Deneuve et j’en passe).

Entre le charme 60’s de Dent de lait, dent de loup (duo avec France Gall sur un plateau de télé dont la frénésie «Swingin’ London» ne serait pas déplacée dans un film d’Austin Powers) et le pop art exubérant de Comic Strip (Bardot teinte en brune pour l’occasion), entre les complets cintrés et la nervosité palpable de l’émule de Vian (Le poinçonneur des Lilacs) et l’hommage cinématographique de Bonnie And Clyde (retour de BB, cette fois en Faye Dunaway), ce flot d’images parfois risibles mais souvent mémorables permet de cerner le paradoxe gainsbourgien: presque immobile dans un décor en constant mouvement, comme s’il s’agissait de prendre un recul critique par rapport à une époque dont il fut un des principaux catalyseurs, perpétuellement enveloppé d’un nuage de Gitanes, Serge Gainsbourg fut parmi les premiers artistes de la chanson française à comprendre le pouvoir de l’image cathodique et à l’exploiter. D’abord avec les moyens du bord, puis avec toutes les ressources du cinéaste qu’il devint, comme en témoigne le très controversé mais très beau Lemon Incest, qui mit en scène, tel un ultime hommage à la gente féminine, sa propre fille Charlotte.

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L’épopée américaine d’un (Star) académicien

On pourrait dire que Georges Alain Jones est de ceux qui ont cherché leur salut en se ressourçant au creuset du blues. Finaliste de la version française de Star Académie (ou Star Ac’, comme ils disent là-bas), le jeune homme à la belle gueule était conscient du fait que l’attention médiatique dont il faisait l’objet serait de courte durée.

Bien conseillé, il a profité de l’occasion pour faire un album dans ses cordes (de guitare), qui refléterait sa passion pour les musiques du Sud américain, soient-elles -blues, soul, voire country, et pour les orfèvres dans le genre de son modèle Ben Harper, dont le génie est d’avoir su concilier ces langages en un tout cohérent.

Par touches judicieusement choisies (dobro, orgue hammond, choeurs gospélisants), l’album New Jersey (Universal Special Imports) n’est pas sans rappeler la démarche de Gérald de Palmas. Autant dire qu’il s’inscrit dans une longue tradition française d’inspiration américaine, honorée d’abord par l’inoxydable Johnny, puis par Eddy Mitchell, Joe Dassin, Alain Bashung ou encore Francis Cabrel.

Dommage que les chansons que Jones co-signe (pour la moitié) ou qu’on lui a offertes n’aient vraiment rien de mémorable, parce que le jeune homme à la belle gueule est un interprète plus qu’honnête. Le charme du dépaysement suffira sans doute à séduire le public français, mais ceux pour qui l’Amérique est au coin de la rue ne trouveront pas tellement de raisons de faire le détour de New Jersey.

Dans le labo de la pop

Sans se faire passer pour des visionnaires, les trois lascars qui forment Prototypes (Stéphane Bodin à la basse, François Marche à la guitare et Isabelle le Doussal aux cordes vocales) semblent avoir mis le doigt sur la formule magique de la pop, qui tient, grosso modo, à trois choses: simplicité, provocation (rappelons que leur premier simple s’appelait Danse sur la merde) et capacité d’intriguer, de se démarquer du flot de nouveautés pour nous faire dire «Mais qu’est-ce que c’est que ce truc?»

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Ayant compris qu’il ne reste strictement rien à découvrir ni à inventer en matière de pop, Prototypes (on savoure l’ironie du nom) ont choisi la voie logique – et écologique – du recyclage, puisant, pour l’essentiel, dans les poubelles des années 60 et 80. S’il y a une quelconque originalité dans leur démarche de Mutants médiatiques (Boxson/Universal), elle réside dans la juxtaposition d’influences et l’agencement inusité de sonorités, comme si un trio de savants fous avait piqué les clés du labo du rock and roll pour se livrer à des expériences explosives.

Pour les 60’s, on pille allégrement chez les Kinks,? And The Mysterians (l’orgue strident de 96 Tears est ici employé à bon escient), ou encore chez le tandem Nancy Sinatra-Lee Hazelwood. Quant aux années 80, elles se manifestent ici par le biais de synthés qui revendiquent leur sonorité synthétique, et par des clins d’œil attendris à Lio, Cindy Lauper et, surtout, aux Rita Mitsouko, ce qui donne une assez bonne idée de la saveur de cet album (leur second en deux ans) dont même la brièveté – 31 petites minutes! – pourrait être perçu comme un hommage à ces époques où l’on se balisait un espace de bonheur entre 33 et 45 tours.

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