L’étude des rapports entre la chanson et la télé nous en dit long sur l’histoire du médium, mais aussi sur les artistes qui, en marge de la scène, occupaient le petit écran dès les années 50.
Brassens visitait les plateaux de télévision à contrecœur, et percevait l’entreprise comme une forme de torture par le biais de laquelle il se révélait néanmoins avec une lucide candeur. Brel investit la télé avec la même passion que la scène, y ayant trouvé un autre médium pour incarner ses chansons. Parallèlement, il jouait de l’interview en virtuose, avec un fascinant alliage de franchise et de mauvaise foi.
Et Gainsbourg? De dire que l’homme entretenait des relations ambiguës avec son image – et donc son image télévisuelle – relève de l’euphémisme. Chez lui, la provocation était l’envers de la timidité, les cigarettes (et les femmes) servaient d’accessoires, la séduction était sa revanche sur cette prétendue laideur que les angles de la caméra et la lumière des projecteurs mirent à nu, avant qu’il ne la tourne à son avantage, comme le brillant manipulateur et exhibitionniste qu’il était.
Suivant la parution de coffrets DVD consacrés à Brel et Brassens, justement, D’autres nouvelles des étoiles (Universal) rassemble l’essentiel du legs télévisuel de l’homme à la tête de chou: deux DVD, 81 chansons et près de cinq heures, riches de nombreuses entrevues (notamment avec la légendaire Denise Glaser) et d’une poignée de rencontres au sommet (Birkin et Bardot, of course, mais aussi Dutronc, Eddy Mitchell, Catherine Deneuve et j’en passe).
Entre le charme 60’s de Dent de lait, dent de loup (duo avec France Gall sur un plateau de télé dont la frénésie «Swingin’ London» ne serait pas déplacée dans un film d’Austin Powers) et le pop art exubérant de Comic Strip (Bardot teinte en brune pour l’occasion), entre les complets cintrés et la nervosité palpable de l’émule de Vian (Le poinçonneur des Lilacs) et l’hommage cinématographique de Bonnie And Clyde (retour de BB, cette fois en Faye Dunaway), ce flot d’images parfois risibles mais souvent mémorables permet de cerner le paradoxe gainsbourgien: presque immobile dans un décor en constant mouvement, comme s’il s’agissait de prendre un recul critique par rapport à une époque dont il fut un des principaux catalyseurs, perpétuellement enveloppé d’un nuage de Gitanes, Serge Gainsbourg fut parmi les premiers artistes de la chanson française à comprendre le pouvoir de l’image cathodique et à l’exploiter. D’abord avec les moyens du bord, puis avec toutes les ressources du cinéaste qu’il devint, comme en témoigne le très controversé mais très beau Lemon Incest, qui mit en scène, tel un ultime hommage à la gente féminine, sa propre fille Charlotte.