Une soupe savamment épicée et poétiquement mijotée

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Publié 29/09/2009 par Paul-François Sylvestre

J’avais d’abord donné à cette recension le titre suivant: «T’en faguès pas, le pécaïré pitchoun espinche bélèu son coulègo». Mais il vous faudrait connaître le provençal marseillais des années 1940 ou avoir lu le tout dernier roman de Claude Tatilon, La Soupe au pistou, pour comprendre pareille phrase (T’en fais pas, le pauvre enfant espionne peut-être son collègue). Le provençal n’est qu’un ingrédient de cette soupe savamment épicée et poétiquement mijotée.

La couverture indique qu’il s’agit d’un roman mais le terme «autofiction» serait plus juste. Claude Tatilon raconte une partie de son enfance, de 1943 à 1945. À 6 ans, il a dû fuir Marseille, sa ville natale occupée par les troupes allemandes, pour aller se réfugier à Moustiers-Sainte-Marie avec sa mère et son cousin Gérard. Son père, résistant, a été arrêté et déporté. Dans le roman, le pitchoun narrateur s’appelle Dominique.

La soupe au pistou revient souvent dans le récit, parfois avec des ingrédients différents Mais il s’agit toujours d’«un pistou fait main, tout en douceur, avec seulement des outils du terroir».

Il en va de même avec la narration de Tatilon, toute en douceur et émaillée d’expressions colorées. De plus, à la manière de La Fontaine, l’auteur sait étayer son récit «de remarques incisives sur la nature humaine et d’éclats poétiques».

Certaines pages de ce récit d’enfance ont presque l’allure d’un conte. C’est le cas d’une partie de chasse avec tonton Roger. En plus du grand air, des paysages et des émotions, les pitchouns reviennent avec un faisan, un garenne, une bécasse, un merle, une dizaine de champignons de pin, un bouquet de thym, de marjolaine et de romarin. Aux yeux de l’auteur, c’est parce qu’il sont «imprimés sur un terreau meuble, [que] les souvenirs d’enfance laissent des traces indélébiles».

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Popaul, le père de Dominique, est déporté dans les camps de concentration, d’abord à Neue Bremm, puis à Buchenwald, Natzwiller-Struthof et Dachau. L’auteur écrit: «Contre l’énorme entreprise d’humiliation, de démoralisation et de déshumanisation qu’était l’univers concentrationnaire, la solidarité et l’amitié étaient seules capables de donner la force de résister, de refuser l’enlisement dans l’obéissance et la résignation.» Contre toute attente, Popaul revient et la soupe au pistou sert de superbe métaphore: «Royale cette soupe des retrouvailles, pleines de bonnes choses quasiment introuvables – et émotionnellement très relevée.»

Je dois signaler que l’auteur décrit avec doigté la confusion que suscite le retour de son père des camps de concentration. Il explique comment ses sentiments étaient en marmelade. D’un côté, un père qui n’est plus attendu, un passé auquel il ne s’identifie pas. De l’autre, un tonton pourvoyeur, rassurant et protecteur. Entre les deux, «une enfance dont tous les parfums et joies sont reconstitués d’une plume fraternelle», lance l’éditeur en quatrième de couverture.

Le style de Claude Tatilon est toujours finement ciselé. Il mêle allègrement le poétique, le dramatique et l’humoristique. Un simple «Aah…» prolongé peut laisser entendre toutes sortes de choses: «le B de bizarre, le C de crainte, le D de déception… jusqu’au M de merde – sublime exclamation, grande consolatrice des misères humaines.»

Tel que mentionné plus tôt, le récit regorge de mots provençaux. Ce qui lui donne une fragrance toute miéterrane – «bel adjectif provençal hébergé par la prose française de Suarès». Il y a un glossaire à la fin du roman mais on ne nous le signale pas au début et plusieurs mots en italique dans le texte ne s’y trouvent pas (bifanas, cafoutche, chouriço, gummi, radaguer).

Avant même d’avoir été publié par le cherche midi éditeur, La Soupe au pistou s’était vendu à 14 000 bolées par le club France Loisirs qui l’avait en exclusivité pour six mois. Une traduction est envisagée par Exile Editions (anglais), ici même à Toronto, et par O Circulo de Leitores (portugais), à Lisbonne.

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Claude Tatilon, La Soupe au pistou, roman, le cherche midi éditeur, Paris, 2009, 264 pages.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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