J’avais d’abord donné à cette recension le titre suivant: «T’en faguès pas, le pécaïré pitchoun espinche bélèu son coulègo». Mais il vous faudrait connaître le provençal marseillais des années 1940 ou avoir lu le tout dernier roman de Claude Tatilon, La Soupe au pistou, pour comprendre pareille phrase (T’en fais pas, le pauvre enfant espionne peut-être son collègue). Le provençal n’est qu’un ingrédient de cette soupe savamment épicée et poétiquement mijotée.
La couverture indique qu’il s’agit d’un roman mais le terme «autofiction» serait plus juste. Claude Tatilon raconte une partie de son enfance, de 1943 à 1945. À 6 ans, il a dû fuir Marseille, sa ville natale occupée par les troupes allemandes, pour aller se réfugier à Moustiers-Sainte-Marie avec sa mère et son cousin Gérard. Son père, résistant, a été arrêté et déporté. Dans le roman, le pitchoun narrateur s’appelle Dominique.
La soupe au pistou revient souvent dans le récit, parfois avec des ingrédients différents Mais il s’agit toujours d’«un pistou fait main, tout en douceur, avec seulement des outils du terroir».
Il en va de même avec la narration de Tatilon, toute en douceur et émaillée d’expressions colorées. De plus, à la manière de La Fontaine, l’auteur sait étayer son récit «de remarques incisives sur la nature humaine et d’éclats poétiques».
Certaines pages de ce récit d’enfance ont presque l’allure d’un conte. C’est le cas d’une partie de chasse avec tonton Roger. En plus du grand air, des paysages et des émotions, les pitchouns reviennent avec un faisan, un garenne, une bécasse, un merle, une dizaine de champignons de pin, un bouquet de thym, de marjolaine et de romarin. Aux yeux de l’auteur, c’est parce qu’il sont «imprimés sur un terreau meuble, [que] les souvenirs d’enfance laissent des traces indélébiles».