Une magistrale épopée policière et historique

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Publié 04/08/2009 par Paul-François Sylvestre

Il est extrêmement rare que la traduction d’un roman paraisse avant son édition originale. Peut-être n’est-ce jamais arrivé avant la publication de La Dague de Cartier, de John Farrow, aux Éditions Grasset. L’éditeur Harper Collins n’a pas encore publié le texte original anglais, mais les lecteurs peuvent déjà dévorer ce neuvième roman de John Farrow… dans la langue de Molière.

John Farrow est le pseudonyme de Trevor Ferguson. Né en 1947 aux abords du lac Huron, Trevor Ferguson arrive à Montréal à l’âge de trois ans, dans le quartier multiethnique de Parc-Extension où aboutiront, plus tard, nombre de ses personnages. À seize ans, il quitte famille et études pour voyager au Canada, aux États-Unis et en Europe. Encore adolescent, il commence à écrire la nuit, travaillant comme aide-cuisinier puis opérateur de machinerie lourde dans des chantiers de construction des chemins de fer du Nord-Ouest canadien.

Trevor Ferguson vit actuellement à Montréal et se consacre entièrement à l’écriture. Il a publié quatre pièces de théâtre et neuf romans; les trois derniers ont paru sous le pseudonyme de John Farrow et ont été traduits pour publication aux Éditions Grasset.

Une critique littéraire du quotidien Le Devoir, Caroline Montpetit, a écrit que l’œuvre de Ferguson/Farrow «est à la fois chantante et souterraine, sérieuse et humoristique, mystérieuse et surréaliste, logique et spirituelle, macabre et fantaisiste».

La Dague de Cartier se veut un roman tour à tour historique, mystérieux et fantaisiste. Le lecteur voyage du XVIe au XXe siècles, de 1535 à 1939, 1955, 1968 et 1971. Il côtoie Jacques Cartier et le chef indien Donnacona, Pierre Elliott Trudeau et le «cheuf» Maurice Duplessis. Les rebondissements sont multiples et savoureux, pour ne pas dire débridés et déstabilisants.

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Quand Jacques Cartier découvre les rives sauvages et les tribus indiennes du Nouveau Monde, les Iroquois lui offrent, en guise de signe d’entente, un poignard tout simple, que le célèbre explorateur fait rehausser de pierres précieuses. Dès lors, la «dague de Cartier» va devenir pour les Canadiens l’objet de toutes les convoitises.

Selon la légende, la possession de cette dague confère un pouvoir politique et financier considérable, sans commune mesure avec sa valeur monétaire.

Cartier amène deux Amérindiens à la cour de François 1er. Domagaya et Taignoaguy découvrent les chiens et les vaches qu’ils croient être respectivement des loups et des élans apprivoisés. Plausible? Certainement. Selon le romancier, Taignoaguy aurait «servi de modèle à Michel-Ange pour l’ange aux ailes déployées peint en haut du Jugement dernier». Fantaisiste? À n’en point douter.

En 1535 Jacques Cartier rend visite au cardinal de Médicis de Monreal qui lui annonce avoir eu une vision: une grande ville sur une île, une ville aux nombreuses églises.

Devinez quel nom porte cette ville… Cartier voit en François 1er un roi qui «dépense plus pour ces chers peintres que pour les expéditions en Nouvelle-France Tout cela doit changer.»

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Mais revenons à la dague de Cartier. Quatre siècles plus tard, elle appartient à Clarence Campbell, président de la Ligue nationale de hockey.

Or, c’est planté dans la poitrine d’un cadavre qu’on retrouve le mystique poignard. Nous sommes en 1955 et Montréal est en proie aux émeutes qui ont suivi la suspension du célèbre hockeyeur Maurice Richard (décision de Clarence Campbell).

«Peut-être que quelqu’un a déclenché les troubles dans l’unique but de voler la Dague de Cartier.» Toujours est-il que, dans la cohue, le meurtre passe inaperçu – tout comme la disparition mystérieuse du poignard, dont seule la pointe est retrouvée à l’autopsie.

Pour décrire ce Montréal des années 1950, l’auteur note que, «à la grande consternation de l’Église et des défenseurs des valeurs traditionnelles, Montréal vivait la nuit. Dans les années 1880, Mark Twain avait dit de Montréal: «On ne peut pas y lancer une brique sans briser le vitrail d’une église.» À présent, cette même brique pulvériserait les vitres des bars.»

J’ai mentionné Trudeau et Duplessis. Cela évoque tout de suite la Crise d’Asbestos. Lors du conflit ouvrier dans cette ville minière du Québec (1947-1949), de jeunes intellectuels sèment la pagaille, au dire du premier ministre Maurice Duplessis.

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«Ils s’imaginent pouvoir gouverner ma Province! Comme s’ils savaient comment on fait!» Parmi eux il y a le jeune Pierre Elliott Trudeau à qui Duplessis veut donner une leçon de haute finance: «La London School of Economics, mon cul! Pour qui se prend-il? De la racaille communiste!».

L’action du roman se déroule aussi en 1968, soit treize ans après le meurtre au poignard. Anik Clément, la fille de la victime, est alors prise dans la joyeuse tourmente du «mai 68» local. Mais sous les pavés gronde la fameuse légende de la dague de Cartier, et lorsque la jeune femme, avec l’aide du détective débutant Emile Cinq-Mars, se lance sur la piste des assassins de son père, c’est toute l’histoire du pays qui les rattrape.

Récit d’une vengeance familiale, étonnant portrait de Montréal au fil des siècles, roman d’aventures, polar des bas-fonds, des sphères politiques et des sectes occultes, La Dague de Cartier est une magistrale épopée policière et historique.

John Farrow, La Dague de Cartier, roman traduit de l’anglais par Jean Rosenthal, Paris, Éditions Grasset, 2009, 624 pages, 29,95 $

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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