Une institution à l’image des Québécois

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 21/09/2010 par Paul-François Sylvestre

Quarante ans après sa naissance officielle, le dépanneur québécois a droit à un hommage. C’est la journaliste Judith Lussier qui le lui rend en publiant Sacré dépanneur! L’ouvrage est abondamment illustré grâce au travail méticuleux de la photographe Dominique Lafond.

On compte 5897 dépanneurs au Québec, du colosse des autoroutes au petit indépendant, en passant par le spécialiste du ver à pêche.

En ville, on en trouve à presque chaque coin de rue. Et dans cette multitude, il y en a toujours un qu’on finit par adopter. Son inventaire hétéroclite dépanne nos matins à la course et comble nos soirées paresseuses.

Le dépanneur québécois est né un peu par hasard, en 1970. Cette année-là, le ministre unioniste de l’Industrie et du Commerce propose une loi uniformisant le commerce au détail, notamment la réglementation des heures d’ouverture qui était alors «un vrai bric-à-brac laissé au bon vouloir des municipalités».

Les libéraux réussissent à faire inclure une clause pour permettre aux petits commerçants de campagne de servir leur clientèle le soir et le dimanche. Désormais, tout le monde pourra le faire.

Publicité

Quelques mois avant l’adoption de cette loi, le Montréalais Paul-Émile Maheu donne à son petit commerce de la rue Saint-Zotique le nom de Dépanneur Saint-Zotique. Le mot est lancé et l’Office québécois de la langue française fait consigner le terme dans la Gazette officielle, le 19 mars 1983. C’est mieux que «accommodation» (de l’anglais accommodation store) et ça traduit bien convenience store.

L’auteure de Sacré dépanneur! note que la France recommande le mot bazarette mais on y entend plus souvent l’expression «arabe du coin».

Ailleurs, il y a les corner stores en Grande-Bretagne, les milk bars en Australie et la boutique chinois à l’île de la Réunion. Au Canada anglais comme aux États-Unis, le 7-Eleven est très répandu.

Voici dix raisons pour lesquelles le dépanneur québécois a été inventé:

1 – parce que quand il n’existait pas, il a fallu l’inventer et qu’il fête cette année ses 40 ans;
2 – parce qu’il fait la véritable preuve que le Québec est une société de consommation distincte;
3 – parce que c’est lui qui vend le plus de produits réservés aux 
18 ans et plus;
4 – parce que c’est aussi l’endroit où les petits enfants se fournissent en bonbons;
5 – parce qu’en plus, c’est le magasin le plus proche;
6 – parce que la livraison est rapide et gratuite;
7 – parce que le gars et la fille du dépanneur ont une place à part dans nos cœurs;
8 – parce que les indépendants sont encore majoritaires dans ce commerce de proximité;
9 – parce qu’au coin de la rue, les gens viennent des quatre coins du monde et que les samossas et le poulet à l’antillaise, ça déniaise;
10 – parce qu’on y est attaché, qu’il soit pépère ou coté en bourse.

Publicité

Journaliste à The Gazette, Monique Dykstra a déjà consacré une de ses chroniques au Dépanneur 7 jours de Saint-Léonard.

Le propriétaire l’a assurée que «40% de ses ventes se font en billets de loterie, 35% en cigarettes, 20% en bière et 5% en magazines pornographiques.»

D’après ce calcul, on en déduit que c’est simplement pour la forme que les produits d’épiceries figurent sur les rayons.

Le paysage québécois des dépanneurs n’est pas uniforme. Il reflète une société composée de plusieurs communautés culturelles. Dans certains dépanneurs, on trouvera donc des épices à tandouri, tout ce qu’il faut pour préparer un chow mein ou un réchaud à churros. «Mais la plupart du temps, les deps s’en tiennent à la sainte trinité: bière, tabac et loto.»

Selon Judith Lussier, «le dépanneur a été le témoin privilégié de la petite histoire du Québec moderne. Sa vitrine recouverte de publicités a vu défiler l’effervescence des années 1970, l’effort de préservation du français, les vagues d’immigration. Au fond, le petit magasin du coin en sait pas mal plus sur nous que l’inverse.»

Publicité

Judith Lussier, Sacré dépanneur! étude, photographies de Dominique Lafond, Montréal, Éditions Héliotrope, 2010, 224 pages 22,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur