Une corne nous pousse à l’arrière du crâne à cause des téléphones?

Une petite bosse peut-être... peut-être pas

Les cornes, sur la tête ou derrière la tête, frappent les imaginations.
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Publié 09/07/2019 par Pascal Lapointe

Il y a deux semaines, une manchette étrange s’est mise à circuler dans des médias anglophones: les jeunes adultes auraient une corne qui leur pousse à l’arrière du crâne à cause de l’usage intensif du téléphone qui les conduirait à incliner la tête trop longtemps.

L’affirmation a depuis été déboulonnée. Mais considérant qu’elle émanait d’une étude scientifique, aurait-on pu éviter ce dérapage?

Radiographies de 1200 crânes

Il s’agit bel et bien d’une étude, parue en février 2018 dans la revue Scientific Reports, appartenant au même éditeur qui publie la prestigieuse revue Nature.

Les chercheurs, les Australiens David Shahar et Mark Sayers, se sont appuyés sur des radiographies de crânes de 1200 patients de 18 à 86 ans ayant consulté un chiropraticien.

Alors qu’on reproche souvent aux journalistes d’exagérer, les médias qui ont été les premiers (News.com) à parler d’une «corne qui grossit sur le crâne des jeunes adultes» (Washington Post) n’ont rien inventé: le terme «corne» a été utilisé par les chercheurs eux-mêmes dans leurs entrevues.

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Bien plus, l’allusion aux téléphones se trouve dans la recherche: cette «protubérance», lit-on, peut être «associée avec l’émergence et l’usage intensif des technologies manuelles contemporaines, comme les téléphones intelligents et les tablettes».

Les cheveux de cette jeune femme cachent-ils une corne au bas de la tête? (Photo: Max Pixel / CC)

Une deuxième opinion svp

On ne peut pas demander aux journalistes d’être des experts en anatomie ou en protubérances osseuses. C’est pourquoi on leur enseigne, dans les écoles de journalisme, à chercher d’autres experts pour corroborer — ou non — une étude.

Ainsi, dans la première version du texte du Washington Post, les seules personnes interrogées étaient les auteurs de la recherche. Ce n’est que huit heures plus tard, selon une revue de l’affaire publiée par l’émission Newshour du réseau américain PBS, qu’une mise à jour contenant les premières objections a été publiée.

En comparaison, les journalistes spécialisés en vérification des faits (Snopes, The Journal) ou les journalistes scientifiques (Gizmodo, Forbes, Ars Technica, New York Times) ont rapidement publié des textes pointant les faiblesses de l’étude.

Que mesure vraiment l’étude?

L’étude ne mesure pas l’usage du téléphone de ces 1200 personnes, se contentant d’afficher le pourcentage de ceux chez qui apparaît cette «corne».

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David Shahar et Mark Sayers écrivent ainsi que cette «protubérance», telle qu’ils la définissent, est présente chez 33% des adultes en général, et chez 41% des 18-30 ans. On ne trouve donc nulle part de chiffre sur, par exemple, le pourcentage d’utilisateurs «intensifs» ou «modérés».

Or, de tels pourcentages seraient indispensables pour conclure que les plus gros utilisateurs du téléphone sont ceux qui sont le plus à risque de se voir pousser une corne.

De plus, il faut se rappeler qu’il s’agit de patients ayant consulté un chiropraticien, donc plus susceptibles que la moyenne d’avoir des problèmes squelettiques: les pourcentages ne signifient rien si on ne peut pas les comparer avec d’autres groupes.

Une corne n’est pas un os

Une corne est faite de kératine, comme nos ongles. Elle ne possède pas la même composition qu’un os, ne «pousse» pas comme un os et n’est pas entourée de muscles comme un os.

Ici non plus, on n’attend pas d’un non-expert qu’il possède ce niveau de connaissances. Mais les experts en anatomie qui ont été appelés pour commenter l’étude, eux, ont tout de suite attiré l’attention sur la «protubérance occipitale externe», qui est présente chez chacun de nous.

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Elle se développe manifestement avec le reste du crâne dès le stade embryonnaire. Certains peuvent sentir comme une «bosse» à l’arrière du crâne. La «bible» de l’anatomie, Gray’s Anatomy, la mentionne depuis 1918.

Elle termine l’extrémité arrière du crâne, là où s’attachent les muscles du cou.

Une bosse qui grossit?

Se pourrait-il malgré tout que Shahar et Sayers aient «découvert» que cette protubérance occipitale serait en train de grossir?

Pour le paléoanthropologue américain John Hawks, qui étudie l’évolution de notre espèce, les auteurs fournissent beaucoup trop peu pour pouvoir l’affirmer: pas assez de chiffres, pas assez de comparaisons avec d’autres groupes.

Qui plus est, il faudrait définir «grossir»: Shahar et Sayers disent n’avoir classé la protubérance comme étant «élargie» que si elle mesurait 10 millimètres, soit cinq de plus que la «normale».

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Mais les experts ne semblent pas s’entendre sur ce qu’est la «normale» pour cette protubérance. Et, comme le fait remarquer John Hawks, mesurer cela au millimètre près à partir d’une radiographie, peut varier suivant l’angle de la radiographie ou l’endroit à partir duquel on fait passer la ligne entre l’os principal et son excroissance.

«Cela signifie que ce que les auteurs regardent pourraient n’avoir rien à voir avec ce qu’un anthropologue peut voir sur un os.»

Auteur

  • Pascal Lapointe

    Journaliste à l'Agence Science-Presse, média indépendant, à but non lucratif, basé à Montréal. La seule agence de presse scientifique au Canada et la seule de toute la francophonie qui s'adresse aux grands médias plutôt qu'aux entreprises.

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