Une cédille à 12 millions $

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Publié 14/05/2019 par Lise Marie Baudry

Dans les derniers jours, la question de l’absence d’accents sur les permis de conduire et les cartes-santé de l’Ontario a refait surface. France Gélinas, députée néo-démocrate de Nickel-Belt, a indiqué à #ONfr qu’on parle de ce sujet depuis plus de trente ans… sans que des solutions soient mises de l’avant.

Marie-France Lalonde, députée libérale d’Orléans, rappelle que son gouvernement avait évalué à 60 millions $ les coûts de transformer les systèmes informatiques permettant les accents dans certains documents officiels de la province. Je me rappelle de ce montant ahurissant, énoncé par Mme Lalonde dans son cabinet, lors d’une rencontre sur un autre dossier. Sur le coup, j’ai passé à autre chose.

Mais maintenant, cela me chicotte. Au point de mettre ma petite calculatrice en marche.

1,5 million $ par signe

La langue française comprend 5 diacritiques1 : l’accent aigu, l’accent grave, l’accent circonflexe, le tréma et la cédille. Cinq! Voyons voir: 60 millions $ divisés par 5 diacritiques = 12 millions $ chacun. Ça revient cher la cédille!

Soyons généreux et prenons la liste complète des lettres à diacritiques dans la langue française : à – â – ä – é – è – ê – ë – ï – î – ô – ö – ù – û – ü – ÿ – ç, selon la Commission internationale de l’état civil. (Le ÿ est vu uniquement dans les patronymes et les toponymes comme dans Aÿ, précieux pour les cruciverbistes et les maniaques du Scrabble.)

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Cela fait 16 lettres. Soixante millions divisés par 16 = 3 750 000 $ la cédille. Soyons encore plus généreux et incluons les 16 lettres en majuscules. Soixante millions divisés par 32 = 1 875 000 $ la cédille majuscule.

Et les mots des autres langues?

Allons encore plus loin et ajoutons les deux ligatures2 utilisées dans la langue française : æ et œ, en minuscule et majuscule. Plus les guillemets français. Cela fait 38 signes, ce qui revient à 1 578 947,37 $ par signe.

On pourrait aussi envisager une utilisation plus large dépassant le français dans les langues basées sur l’alphabet latin: le tilde de senõr en espagnol, la barre inscrite en danois ø, le caron dans les langues slaves ň, ou encore le ì de l’italien. Mais vous voyez où je veux en venir.

Je ne reproche pas aux gouvernements de ne pas vouloir investir 60 millions $ pour produire ces signes. J’aurais pris la même décision. C’est une somme astronomique qui serait mieux attribuée aux soins primaires, aux soutiens en santé mentale, à l’accès à la justice en français, etc.

Techno-tarte

Non, la cible de mon sarcasme, c’est le secteur de l’informatique. Je reconnais volontiers être une techno-tarte. Je reconnais que ma démonstration ci-haut est super simplifiée, au bord de la caricature.

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J’entends déjà les technocrates qui me disent – hurlent? – que je ne comprends rien à la complexité du comment du pourquoi du machin du truc. Je suis d’accord avec eux. Je ne comprends pas

Et je ne comprends pas que, en 2019, quand un astronaute peut vivre 6 mois dans l’espace et que l’on peut faire des transferts d’argent en – littéralement – une fraction de seconde n’importe où sur notre planète, coder un accent circonflexe présente une barrière insurmontable et des coûts faramineux.

Alors qu’on a prouvé l’existence du boson de Higgs. Alors qu’internet est disponible en une centaine de langues. Avec plein de diacritiques et autres signes.

Est-ce que quelqu’un peut m’expliquer ?

Pensez-y : 1 578 947,37 $ par signe.

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Quiz

Quiz : combien de diacritiques ai-je utilisés dans ce texte?

1 – Un diacritique est un signe accompagnant une lettre pour en modifier le son et la prononciation, ou pour distinguer un mot d’un homonyme. Le diacritique est présent dans toutes les langues utilisant l’alphabet latin.

2 – Une ligature: deux lettres liées pour former un caractère unique. En français, cela date d’une époque où la typographie primaire exigeait de réduire l’espace. Certaines ligatures sont aussi héritées de mots empruntés à d’autres langues.

Réponse: 96

Auteur

  • Lise Marie Baudry

    Lise Marie Baudry œuvre depuis plus de 30 ans dans la francophonie ontarienne et torontoise. Elle a notamment été directrice générale du Centre francophone de Toronto. Ses opinions n'engagent qu'elle-même.

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