Un virtuose du polar intelligent


Jusqu’à tout récemment, je ne connaissais pas Les Éditeurs réunis. Je viens de lire leur plus récent titre qui est présenté comme un roman digne du Code Da Vinci. Il s’agit du polar Le Secret de Nelligan que signe Mario Hade. L’auteur mêle habilement suspense, faits historiques et poésie.


Les dernières pages du roman dresse une liste des 97 personnages, suivis d’une brève note descriptive; seulement 39 d’entre eux sont fictifs.


Les personnages réels incluent, bien entendu, le poète Émile Nelligan et d’autres membres de l’École littéraire de Montréal, le premier ministre Maurice Duplessis, Adrien Arcand, chef du Parti social national chrétien, et le journaliste Olivar Asselin, pour n’en mentionner que quelques-uns. Les principaux personnages fictifs sont des employés de la Sûreté du Québec.


En premier lieu, on fait la connaissance de l’inspecteur Bernard Auclair qui a été muté aux enquêtes non résolues après 25 ans de loyaux services dans la Criminelle. Il enquête sur un meurtre vieux de 70 ans et est assisté de la jeune inspectrice Nancy Brouillard. L’auteur ne peut résister à faire un jeu de mot en écrivant: «Auclair voit clair dans le brouillard.»


L’enquête a lieu en 2007 et porte sur un meurtre commis en 1937; elle conduit à un témoin nommé Paul-Olivier Duval, qui est toujours interné sans raison médicale dans un hôpital psychiatrique.


Ce témoin a connu le célèbre poète québécois Émile Nelligan, lui aussi témoin d’un meurtre et lui aussi interné à Saint-Jean-de-Dieu. Duval et Nelligan auraient-ils été éliminés de la circulation en raison de ce qu’ils ont vu…?


Pour mener leur double enquête, les inspecteurs Auclair et Brouillard ont «leur petite conspiration personnelle» et n’hésitent pas à faire «un pied de nez à leurs supérieurs immédiats».


Il faut dire qu’un de leurs patrons est un être perfide pour qui «ruiner la carrière de quelques agents n’était rien si, au bout du compte, il brillait devant ses supérieurs».


Mario Hade s’avère un virtuose du polar intelligent en imaginant une intrigue à la fois complexe et raffinée. On nage aussi bien dans les archives criminelles que dans les dossiers littéraires. Les rebondissements sont nombreux et inattendus.


Un haut gradé de la Sûreté du Québec ordonne à deux agents de faire disparaître Auclair et Brouillard, mais c’est lui qui finit par être éliminé par des forces supérieures.


Il y a maintenant trois meurtres à résoudre: celui commis en 1899 et dont Nelligan a été témoin, celui commis en 1937 et dont Duval a été témoin, celui commis aujourd’hui et qu’on tente de faire passer pour un suicide.


Le lien entre ces trois meurtres répartis sur plus de cent ans semble être un mouvement maçonnique ayant «infiltré les différents paliers du gouvernement, tous les ministères, ainsi que les forces de l’ordre».


On réfère à ce mouvement en parlant de l’Organisation ou des «forces occultes». Comme Auclair et Brouillard ont découvert que l’Organisation est capable de «commettre des meurtres en toute impunité», ils ont besoin de protection 24 heures sur 24. Ce sont des policiers à la retraite qui la leur fournissent. Comme vous pouvez le constater, l’intrigue est corsée.


Elle le devient davantage lorsqu’une avocate menace d’«ébranler les fondements des apparatchiks gouvernementaux.»


Le romancier a effectué une recherche minutieuse sur la personne et les écrits de Nelligan. Il note que ce dernier n’était pas «l’être pur et innocent que le folklore populaire avait décrit. Il semblait plutôt un jeune homme avant-gardiste, ce qui n’avait pas eu l’heur de plaire à ses contemporains.» Nelligan est aussi présenté comme un «volcan toujours prêt à exploser». On l’admirait et on le détestait tout à la fois.


Tel que noté au début, le roman fait mention de plusieurs personnages réels. L’un d’eux est le professeur Paul Wyczynski, de l’Université d’Ottawa, grand spécialiste de Nelligan et cofondateur du Centre de recherche en civilisation canadienne-française. On mentionne aussi Réjean Robidoux, collaborateur de Wyczynski.


À la page 210, on y lit que l’inspectrice s’est rendue à l’Université d’Ottawa pour consulter un fonds «au Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF)». C’est bien la première fois que le CRCCF figure dans un polar!


Les dernières lignes du roman annoncent clairement une suite au Secret de Nelligan. Un journaliste signe un article qui se termine sur cette note: Tous les protagonistes «se sont volatilisés comme par miracle. Vous ne trouvez pas ça étrange? Je poursuis donc mon enquête. C’est une histoire à suivre…»


Mario Hade, Le Secret Nelligan, roman, Montréal, Les Éditeurs réunis, coll. Polar, 2011, 384 pages, 24,95 $.