Un Torontois redore le blason de Mgr Bourget

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Publié 20/05/2008 par Paul-François Sylvestre

Professeur d’histoire du Canada et du Québec au Collège universitaire Glendon, Roberto Perin a récemment publié Ignace de Montréal: artisan d’une identité nationale. Cet ouvrage n’est pas une biographie de Mgr Ignace Bourget, deuxième évêque de Montréal (1840-1876), mais plutôt un repositionnement de celui qui fut une figure centrale dans l’histoire du Québec, une sorte de lien entre l’époque de la Rébellion et celle de la Révolution tranquille.

Les historiens ont été durs à l’endroit de Mgr Ignace Bourget (1799-1885). Plusieurs lui ont reproché son autoritarisme, son étroitesse d’esprit, sa mesquinerie et «son attachement à une idéologie opposée aux valeurs du monde moderne, refermée sur elle-même et pernicieuse». L’évêque de Montréal était de son époque, mais on aurait voulu qu’il soit de notre temps. Le professeur Perin tente de remettre les pendules à l’heure.

Né d’une thèse de doctorat soutenue il y a plusieurs années, son livre se veut avant tout une réflexion sur l’épiscopat d’Ignace Bourget et sur sa signification pour l’histoire du Québec et du Canada. L’auteur explique d’abord comment Bourget tire parti du vide politique, idéologique et même identitaire créé par la répression des Patriotes pour proposer un modèle d’identité nationale. Ce modèle clame haut et fort que «dorénavant le Canadien français sera nécessairement catholique».

Le professeur Perin tourne ensuite son regard sur la pléiade d’institutions mises sur pied par l’Église pour créer «l’ossature de la nouvelle culture canadienne-française». Mgr Bourget fait venir une kyrielle de communautés religieuses qui acceptent toutes de diriger qui un collège, qui un hôpital, qui un institut. Le paysage architectural du Québec ne tarde pas à refléter la nouvelle identité franco-catholique: églises, collèges, couvents, etc.

Aux yeux de Bourget, la sauvegarde et l’expansion de la culture canadienne-française reposaient en grande partie sur les institutions dirigées par les communautés religieuses.

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«Il incita le personnel religieux, féminin et masculin, à s’engager dans tous les aspects de la vie collective canadienne-française – intellectuel, artistique, économique, social et national.» Son rêve se réalisa puisque, à sa mort, l’Église catholique était intimement associée au syndicalisme, au mouvement coopératif, aux associations patriotiques, aux arts et à la culture, au savoir et à la recherche.

À l’aube de la Confédération, Mgr Ignace Bourget possède l’intime conviction que le peuple canadien-français jouit pleinement de ses droits au Canada et qu’il est entièrement chez lui au Québec. «À ses yeux, les Canadiens français ne sont ni conquis, ni subjugués, ni inférieurs.»

L’évêque n’était pas chauvin; il se montrait respectueux des droits acquis de la minorité protestante. «Seulement, lorsque les protestants empiétaient sur les droits de la minorité catholique, comme ce fut le cas au Nouveau-Brunswick en 1870, les Canadiens français se devaient de réagir.»

La vision d’Ignace Bourget effraya un segment du haut clergé qui ne prisait pas la vigueur, la détermination et le militantisme dont faisait preuve l’évêque de Montréal. Ce dernier avait l’art de déranger les habitudes établies et de bousculer certaines certitudes. Il faut cependant reconnaître que l’Église dirigée par Bourget maintint toujours sa vitalité, allant jusqu’à prêter main forte aux minorités francophones de l’Ontario et du Manitoba. Cette vitalité se transformera petit à petit après la Première Guerre mondiale et se laïcisera après la Seconde Guerre mondiale.

Les historiens issus de la Révolution tranquille ont présenté cette dernière guerre comme une rupture fondamentale avec le passé. «Pourtant la différence entre un Québec pleinement catholique et un Québec pleinement français n’est pas une différence de substance mais de modalités. Il est vrai que, autour de la Première Guerre mondiale, la religion fit place à la langue comme trait distinctif de l’identité nationale et que l’État se substitua lentement à l’Église comme véhicule de l’affirmation identitaire. Toutefois, la notion de l’autonomie de la culture canadienne-française subsista et sous-tendit même cette transition. Dans ce contexte, Bourget est une figure marquante non seulement pour le XIXe siècle mais aussi pour le Québec contemporain.»

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En publiant Ignace de Montréal: artisan d’une identité nationale, Roberto Perin a refusé de reprocher au deuxième évêque de Montréal d’être un homme de son époque plutôt que de la nôtre. Il montre plutôt comment Mgr Bourget a non seulement exprimé mais incarné les aspirations d’une collectivité. L’auteur en conclut aisément qu’Ignace Bourget demeure une figure centrale dans l’histoire du Québec moderne.

Je note, en passant, que ce livre est dédié au regretté Pierre Savard (1936-1998), historien et ancien directeur du Centre de recherche en civilisation canadienne-française de l’Université d’Ottawa.

Roberto Perin, gnace de Montréal: artisan d’une identité nationale, essai, Éditions du Boréal, Montréal, 304 pages, 25,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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