Un «t» pour que ça passe mieux…

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Publié 24/02/2009 par Martin Francoeur

Il y a deux semaines, j’abordais dans ces pages la question des «s» euphoniques. Les lettres euphoniques sont des lettres qui sont ajoutées à une forme verbale pour éviter un hiatus, c’est-à-dire le contact de deux voyelles. J’avais déjà annoncé le sujet de la présente chronique: après les «s» euphoniques, il fallait s’attaquer aux «t» euphoniques. Chose promise, chose due.

Un bref rappel s’impose. Une collègue me demandait s’il fallait mettre un «s» au verbe à l’impératif dans une formulation avec le pronom «en». Comme dans «manges-en», par exemple. Sur le plan de la conjugaison, les verbes à la deuxième personne du singulier de l’impératif présent ne devraient pas prendre de «s» final. Mais pour des raisons d’ «euphonie», ou pour éviter un hiatus, on ajoute un «s». La règle est assez simple. Pour la lettre «t», la situation est différente. Les «t» euphoniques sont souvent insérés dans une forme verbale. Et séparés par des traits d’union. On n’a qu’à penser à «va-t-il arriver» ou à «ta montre fonctionne-t-elle?».

La Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française nous apprend que le «t» euphonique, que l’on appelle aussi «t» analogique, est ajouté entre le verbe et un pronom sujet de troisième personne, comme «il », «elle» et «on» lorsqu’il y a inversion de ce verbe et de ce sujet. Qu’ont en commun ces pronoms personnels? Ils commencent tous par une voyelle. Et c’est encore une fois pour des raisons purement «sonores» qu’on ajoute ainsi un «t» sans véritable fonction grammaticale.

Les inversions où l’on peut voir apparaître un «t» euphonique sont surtout produites dans une structure interrogative ou dans une phrase incise. L’ajout de cette consonne incongrue se fait uniquement lorsque le verbe se termine par un «e» muet ou par un «a», de même qu’avec les verbes vaincre et convaincre. Un trait d’union précède et suit le «t» euphonique.

Des exemples? «Va-t-on au cinéma ce soir?» Ou encore : «Travaille-t-il aujourd’hui ?» Ce sont là des formes interrogatives qui exigent l’insertion d’un «t» euphonique. Pour ce qui est des phrases incises, on peut penser à des trucs comme: «Le bilan de l’année 2008 sera déposé, a-t-il dit, une fois que le vérificateur aura terminé son travail.» Ou bien: «Le pire, ajouta-t-elle, c’est que je ne le connais même pas».

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Les formes incises qui nécessitent l’emploi du «t» euphonique sont fréquentes dans les textes de journaux ou dans la structure narrative d’un roman, par exemple. Il est important de mentionner que les verbes dont la forme à la troisième personne se termine par un «d» ne doivent pas être suivis d’un «t» euphonique lors d’une inversion. Aussi ne doit on pas écrire: «répond-t-elle» ou «prend-t-on», mais bien «répond-elle» et «prend-on». On nous dit que la présence d’un «t» euphonique serait superflue parce que les verbes se terminent déjà par un «d» qui se prononce «t».

Un peu plus haut, je mentionnais que le «t» euphonique est parfois appelé «t» analogique. Cette appellation vient du fait que c’est «par analogie» avec les autres formes verbales, notamment celles du deuxième groupe et plusieurs du troisième groupe, que l’on a choisi la consonne «t» pour uniformiser la sonorité des inversions. Le «t», dit-on (!), est une marque verbale propre à la troisième personne du singulier: elle croit, il dit, on fait, il feint, on peut, elle finit…

À la différence du «s» euphonique, on ne rencontre pas de «t» devant le pronom «en». Dans des formulations comme «va-t’en», «reviens-t’en» ou «rappelle-t’en», le «t» en question est une élision du pronom «te». Ce «t» est aussi un pronom; il a une fonction grammaticale bien précise. Il est cependant arrivé que certaines formes orales populaires ont entraîné l’emploi d’un «t» euphonique avec le pronom «en». C’est le cas, par exemple, de «Marlborough s’en va-t-en guerre…», tirée d’une célèbre chanson folklorique.

Même l’expression «va-t-en-guerre» est devenue un nom et un adjectif invariables qui désigne un militaire ou une personne qui pousse à la guerre ou qui est partisan de la force pour la résolution d’un conflit. Les médias ont parfois décrit George W. Bush comme un va-t-en-guerre pour les interventions américaines en Irak ou en Afghanistan. Au figuré, un va-t-en-guerre peut aussi désigner, tout simplement, une personne qui recherche le combat ou l’affrontement. Certains joueurs de hockey, par exemple, ne sont peut-être pas des bons marqueurs, mais ils sont de redoutables va-t-en-guerre… Notons que dans le mot composé va-t-en-guerre, on ajoute un trait d’union entre «en» et «guerr » justement parce que c’est un nom composé dont tous les éléments sont liés. S’arrête-t-on ici? Je crois que oui.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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