Un roman torontois présente une femme hétéro aux prises avec le sida

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Publié 30/09/2008 par Paul-François Sylvestre

Laurette Lévy, qui a vécu à Toronto pendant vingt ans, a décidé de révéler les réalités singulières auxquelles sont confrontées des femmes atteintes du VIH. Son récit, Debout en clair-obscur, s’inscrit dans une époque charnière, qui correspond à l’arrivée des premiers traitements efficaces contre le sida. C’est aussi le témoignage d’une évolution sur le plan des connaissances de la maladie, de son traitement et de la lente mais nécessaire transformation de l’attitude des gens face au VIH/sida.

En juin 2002, après treize ans de résidence à Toronto, Béatrice quitte la métropole pour retourner dans sa ville natale, Québec. Tout au long du trajet qui la ramène à Québec, elle se remémore les épisodes marquants et bouleversants qui ont façonné sa vie depuis son diagnostic de séropositivité en 1994 : sa rupture avec Peter, son amitié forte et durable avec un ami gai, son engagement à défendre la cause des personnes qui vivent avec le VIH, sa solitude, ses angoisses et ses espoirs aussi.

À proprement parler, le roman s’étend sur une demi-journée, le temps de quitter Toronto et d’arriver à Québec, en passant par Belleville, Kingston, Brockville, Cornwall, Montréal et Trois-Rivières. Entre chacune de ces villes, il y a des retours en arrière, des pans de vie complets qui nous sont révélés, de 1994 à 2002. On y apprend que Béatrice Langlois, ou Béa, a été infectée par un homme «tout de noir et d’usagé vêtu, grand, mince et des yeux à la Roy Dupuis».

Elle se demande comment tolérer «cette chose insidieuse» qui s’est glissée dans son corps et qui, «jour après jour, gagne du terrain, envahissant la moindre de [ses] cellules, s’y cramponnant sans jamais lâcher prise, qui change constamment pour ne pas se faire éradiquer». Même si Béa a réussi à apaiser sa douleur, «les sentiments d’abandon, de trahison et de colère n’ont pas complètement disparu». Elle a encore beaucoup de réticence à faire confiance aux gens, aux hommes surtout. Et elle vit toujours seule.

Pour narguer et défier la maladie, Béa fait du bénévolat dans des associations venant en aide aux sidéens et sidéennes. Elle se joint à un groupe de soutien afin de «rencontrer d’autres femmes avec lesquelles échanger et partager ses expériences, ses émotions». Cela s’avère très positif.

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Puis arrive la trithérapie (1996). On peut enfin offrir un traitement «qui ralentissait l’avance du virus. On vivait une période euphorique», écrit la romancière. À noter que l’espérance de vie des patients infectés par le virus du sida dans les pays développés aurait augmenté de 13 ans depuis qu’on a recourt à une combinaison d’anti-rétroviraux, avec une baisse de la mortalité de près de 40%, selon une étude publiée par la revue britannique The Lancet. Cependant, l’espérance de vie des séropositifs au VIH demeure toujours beaucoup plus basse que celle des séronégatifs. À 20 ans, elle est de 63 ans pour les premiers et de 80 ans pour les seconds.

Chose étonnante, un personnage du roman affirme que, pour la communauté francophone de Toronto, «il n’y avait qu’un seul médecin, qui avait peu d’expérience dans le domaine».L’auteure présente une femme médecin (anglophone) qui a choisi de soigner les personnes atteinte du VIH car c’est là que politique et médecine se recoupent. On œuvre dans un domaine où il faut apprendre à dire qu’on ne sait pas, qu’on essaye, qu’on ne peut pas grand-chose.

L’auteure porte un jugement sur les associations de lutte contre le sida. Lévy déplore que, dans les dernières années, elles «se sont bureaucratisées, que les militants sont devenus de véritables fonctionnaires qui gèrent la manne des compagnies pharmaceutiques». Elle note aussi que les études médicales reposent presque toujours sur des tests faits auprès d’hommes seulement.

Debout en clair-obscur est un roman qui peint la solitude: pas d’enfant, pas d’amant. «Et pourtant j’éprouve toujours du désir. Que faire de ma sensualité encombrante, dérangeante? L’infection m’a fait entrer dans le monde des impurs, des intouchables.»

Le roman regorge de références à Toronto, ses quartiers, son atmosphère et son unicité. Il est question des boutiques de la rue College, de la piste cyclable de la rue Harbord et du «look Queen Street». L’auteure écrit que Béa avait d’abord été «attirée par la diversité de la métropole», puis elle avait fini par «se lasser de l’anonymat de la multitude». Lévy donne à Toronto le surnom de Rats’ City: «Tout le monde courait dans le métro, prenait des cours le soir après le travail, avait mille occupations. Personne n’était jamais disponible pour prendre un café, une bière, comme elle en avait l’habitude à Québec.» Le roman note aussi la bonne humeur, le rire contagieux et la débrouillardise des Torontoises venues du Burundi, du Mali, du Congo et du Rwanda.

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Laurette Lévy écrit dans un style simple et dénué de fioritures. La vie de sa protagoniste «se déroule en trente-trois tours plutôt qu’en quarante-cinq». La structure de son roman est dynamique et donne de l’entrain à notre lecture. Quelques erreurs n’ont cependant pas été corrigées par l’éditeur (orthographe de certains noms propres, mauvais usage d’un verbe, double négation).

Laurette Lévy habite Montréal après avoir vécu à Toronto pendant vingt ans. Tout au long de sa vie, elle s’est engagée comme bénévole, entre autres dans les domaines de l’alphabétisation et de la lutte contre le sida. Elle a été chercheure en sociolinguistique et en enseignement du français en milieu minoritaire; elle se consacre désormais à l’écriture de fiction. Elle publie des nouvelles dans les Cahiers de la femme, Virages et Moebius; un premier recueil de nouvelles, Zig-Zag, est paru en 2002.

Laurette Lévy, Debout en clair-obscur, roman, Sudbury, Éditions Prise de parole, 2007, 232 pages, 22 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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