Un roman hautement coté peut décevoir…

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Publié 14/03/2006 par Paul-François Sylvestre

Couronné en 2004 par le prestigieux Booker Prize, La Ligne de beauté est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature britannique contemporaine. Les critiques anglais ont évoqué Henry James ou Proust pour décrire l’élégance et la grâce du style d’Alan Hollinghurst. Le Sunday Telegraph a écrit que «La Ligne de beauté est ce que le roman britannique peut donner de meilleur». Peut-être suis-je trop sévère, mais j’avoue que l’ouvrage ne m’a pas épaté outre mesure.

Le roman met en scène Nick Guest, un jeune esthète, homosexuel et cultivé. Fils d’un modeste antiquaire anglais, il fait de brillantes études à Oxford et, au début des années 1980, part s’installer à Londres pour y mener à bien une thèse sur Henry James.

Il s’installe dans le grenier de la famille Fedden, dont le père est un ambitieux député conservateur. Le jeune locataire côtoie ainsi la grande bourgeoisie londonienne et devient le spectateur fasciné de leur vie fastueuse et insouciante. Le lecteur a droit à des chapitres entiers consacrés à des soirées gala, des réceptions et des concerts.

Sous la plume d’Alan Hollinghurst, la ville de Londres revit la flamboyance des années Thatcher, quand ascension sociale rimait avec hédonisme, égoïsme et cruauté. Avide de plaisirs et de beauté, le jeune héros se laisse emporter dans un tourbillon qui lui fait découvrir le sexe, la cocaïne, les voitures de sport et la vie facile. Aussitôt installé à Londres, en 1983, Nick Guest baise un inconnu dans un jardin de Notting Hill. Il se dit que c’est très vilain, mais «c’était vraiment la meilleure chose qu’il avait jamais faite».

Quelques chapitres plus tard, en 1986, il rencontre Wani, le fils d’un magnat libanais. Nick n’a pas l’instinct de famille mais il apprend vite que, pour Wani, «rendre visite à ses parents était aussi naturel que l’activité sexuelle, aussi irréfutable dans ses exigences. Les autres nuits de la semaine, rien ne s’opposait à ce qu’il se retrouve dans les toilettes d’un grand restaurant pour sniffer sa dose de coke, puis qu’il rentre chez lui (…) en vue d’une bonne séance de punition où il laisserait libre cours à ses fantasmes sexuels.»

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Ces fantasmes ne sont pas décrits, à peine évoqués. Au lecteur de lire entre les lignes. Le roman regorge de dialogues savoureux, mais ils sont presque tous centrés sur des conversations anodines autour d’un verre. Nick ne discute jamais des sentiments qu’il éprouve à l’endroit de son amant de l’heure. Un geste est posé puis il y a «un silence bref et profond, aussi tactique que palpable». L’auteur résume avec brio le climat d’hédonisme et d’égoïsme qui règne lorsqu’il écrit: «on n’était jamais sûr de rien quand il était question de mots, toujours ces orties parmi les coquelicots…»

Le titre du roman renvoie à un principe décrit par William Hogarth dans Analysis of Beauty (1753). Il affirme que le principe de la beauté réside dans la ligne ondulée ou serpentine baptisée par lui du nom de «ligne de beauté». Est-ce que la ligne de beauté, comme l’ogive, serait celle de deux contraintes tenues en un mouvement déployé? Pourquoi regarder du côté des harpes ou des branches quand la chair s’offre si naturellement? Nick voit la ligne de beauté lorsqu’il contemple le dos ou une autre partie (!) du corps masculin. Il ne lui déplaît pas d’être ligoté «au montant du lit à ogives», ce qui alimentera plus tard ses «moments de nostalgie perverse».

En entamant la lecture de La Ligne de beauté, je croyais que j’allais jouir de plusieurs clins d’œil homo-érotiques et d’une trame romanesque rehaussée d’une certaine sensibilité. J’ai été servi dans le premier cas mais déçu dans le second. J’aurais voulu en connaître plus au sujet de Nick, pas juste le fait qu’«il avait dansé à l’Heaven jusqu’à trois heures du matin, et il avait encore les joues flasques, les jambes vacillantes, les oreilles hypersensibles et l’éblouissement facile que donne la gueule de bois à la bière et au cognac».

Il est vrai que l’auteur souligne à quel point le sida fait des ravages autour de Nick, à quel point le jeune homme voit tout un monde, auquel il a cru appartenir un moment, le rejeter aussi rapidement qu’il l’avait accueilli. N’empêche que je suis resté sur ma faim.

Alan Hollinghurst est né en 1954 en Angleterre. Après des études de littérature à Oxford, il collabore au prestigieux Times Literary Supplement. Son premier roman, La Piscine-bibliothèque, est devenu un livre culte outre-Manche. La publication de La Ligne de beauté a constitué, paraît-il, un des événements de la rentrée littéraire en France. Je me demande pourquoi.

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Alan Hollinghurst, La Ligne de beauté, roman traduit de l’anglais par Jean Guiloineau, Éditions Fayard, 544 pages, 34,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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