Un roman coup-de-poing

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Publié 02/11/2010 par Paul-François Sylvestre

Le premier roman de Dominike Audet est toute une brique: L’âme du Minotaure s’étale sur 875 pages et s’attaque à un sujet audacieux en imaginant, sur fond de Seconde Guerre mondiale, une fiction autour d’une relation amoureuse entre une jeune Berlinoise et le général SS Reinhard Heydrich, protecteur du Reich pour la Bohême-Moravie. Les scènes d’amour et de haine se succèdent à qui mieux mieux dans cet ouvrage finement documenté, au point de devenir parfois assommant.

L’histoire se déroule en deux volets. Dans un premier temps, la narratrice est Katharina Lindemann, une jeune Berlinoise qui tombe éperdument amoureuse du général Reinhard Heydrich sans connaître le rôle que tient ce dernier dans l’application de «la solution finale».

Dans un second temps, c’est le général qui devient narrateur et qui cherche à ne plus être l’homme qu’il a été – c’est-à-dire «le boucher de Prague» – en imaginant un après-guerre différent de celui prévu par Hitler.

Dans un volet comme dans l’autre, réalité et fiction font bon ménage. Il est question de personnages et de personnalités. Katharina et sa cousine Léah sont fictives, mais les SS sont réels: Heinrich Himmler, Karl Gebhardt, Reinhard Heydrich, Hermann Goering.

J’ai personnellement plus apprécié les envolées fictives, Le récit des nombreuses intrigues militaires m’a souvent ennuyé, mais c’est une question de goût. Dans un cas comme dans l’autre, le style est limpide et l’écriture est finement ciselée.

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Katharina offre sa virginité sur un plateau d’argent à un SS et «il en a fait un travail de maître». Quelques jours plus tard, Reinhard Heydrich écrira: en amour, «il n’y a pas de bons maîtres, que de bons élèves». Katharina est une excellente élève; elle passe «de la vierge à la tigresse».

Mais pour Heydrich, il ne saurait être question de passion. «Si je m’y abandonnais un tant soit peu, la passion deviendrait trop grande, trop prenante, trop exigeante!»

Aux yeux du général SS, chef de la Gestapo, l’attachement passionnel à une femme constitue un grave danger, parce qu’une personne dans sa position n’a pas le droit de se le permettre. Hitler aurait d’ailleurs dit que «Heydrich [était] un homme au cœur de fer». Mais quand l’auteure se demande ce que peut bien encore désirer un homme qui possède tout, le lecteur devine vite la réponse: une femme, Katharina.

«Eh oui, la femme, le ressort secret de tant de puissants de ce monde.»

À Berlin, Katharina travaille pour le SS Karl Gebhardt, sans savoir que ce médecin mène les expériences sur les gaz d’extermination. Il s’éprend de sa jeune employée et enrage lorsqu’il apprend qu’elle s’est donnée à Heydrich qu’il qualifie de Minotaure, «cette bête, mi-homme mi-taureau, terrée au milieu du labyrinthe, se nourrissant des pauvres victimes qu’on lui apporte ou qui se perdent dans les méandres de son antre… Il n’attend qu’une pauvre victime à dévorer».

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Le lecteur devine que Katharina n’est pas sur terre pour s’ennuyer. Elle se fiche bien des termes épouse et maîtresse. Elle est mue par un solide lien de complicité et de passion. Au début, dans son travail, Katharina ne pose jamais de questions, mais par la suite, une fois rendue à Prague aux côtés de son amant, elle soupçonne qu’il y a une machination nazie. Elle se demande si un homme qui côtoie la mort jour après jour peut sincèrement apprécier la vie…

Elle se demande si Reinhard ne s’est pas habitué au mal, s’il n’y voit, en définitive, «l’unique façon de se soulager, comme s’il s’agissait d’un remède».

Dans le roman, le général Heydrich survit à une tentative d’assassinat (la fiction prend, ici, le haut du pavé). Le chef de la Gestapo se demande quel dirigeant il aurait fait, au lieu d’être réduit à jouer les seconds violons pour Hitler. Le 21 janvier 1942, il dit: «Dieu aurait pu prendre le reste de la journée pour nous détruire, rejouer quelque chose comme le grand déluge…

Mais sa chance, il ne l’a pas prise, laissant les SS agir à sa place». Ce roman assène parfois de véritables coups de poing! Dominike Audet a commencé à écrire L’âme du Minotaure à l’âge de 24 ans; elle s’y est consacrée corps et âme pendant neuf ans, se rendant même à Berlin et à Prague pour faire ses recherches. Sans compter qu’elle a appris l’allemand et le tchèque!

Son roman est certes déstabilisant et fort en émotions, mais au-delà des abominations de la guerre et de la folie nazie, L’âme du Minotaure évoque le repentir d’un homme qui a commis le pire, laissant espérer que certains SS ont un jour éprouvé du regret et de la honte, même si le mal était déjà fait.

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Dominike Audet, L’âme du Minotaure, roman, Montréal, VLB Éditeur, 2010, 878 pages, 32,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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