Un regard rafraîchissant sur les banlieues chaudes françaises

La petite Jérusalem de Karin Albou

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Publié 16/05/2006 par Yann Buxeda

De prime abord, La Petite Jérusalem est une bouffée d’air frais dans le paysage cinématographique français. À cent lieues des productions classiques sur l’univers des cités, le premier film de la réalisatrice Karin Albou apporte un regard particulièrement novateur.

Ici, pas question de stéréotyper le quotidien de jeunes adultes à la dérive. Le propos est ailleurs… Loin des représentations dominantes des banlieues dans la conscience collective – La Haine de Mathieu Kassovitz en tête – La Petite Jérusalem prend place dans le quartier éponyme de Sarcelles et pose une problématique nouvelle. Celle du repli des communautés sur elles-mêmes et de la confrontation des pensées philosophiques avec les lois religieuses.

Des images très sombres, épurées chromatiquement. Une réalisation qui s’appuie sur l’utilisation quasi-systématique de gros plans mobiles et de larges mouvements de caméra. Karin Albou a fait le choix clair de guider intégralement son spectateur dans les dédales du scénario, ne laissant que peu de place à l’interprétation personnelle. La formule est classique mais résolument efficace.

D’emblée, l’oeil est guidé vers les parties claires de l’image et occulte automatiquement une partie du paysage, pour se focaliser sur un détail précis, provoquant ce sentiment étouffant de n’être pas maître de son regard. Un pari risqué, qui comptait sur la performance d’actrice de Fanny Valette. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que pour un premier rôle sur grand écran, la copie rendue est encourageante! Bien épaulée par ses partenaires, elle s’approprie le personnage avec autorité et sincérité, sans pour autant sombrer dans le sentimentalisme.

La toute jeune actrice y interprète l’héroïne du film, Laura, une jeune étudiante en philosophie de confession juive, qui s’est écarté du chemin tracé par la Torah pour emprunter celui de la pensée kantienne. Une situation qui la confronte à l’inquiétude de sa famille, dont le quotidien est régi par les préceptes d’Hachem et qui voit en cette conception de la vie une incarnation du mal. Face à l’incompréhension des siens, elle se forge un univers dédié à la philosophie, reproduisant dans son quotidien les pratiques usuelles de son modèle. Elle s’astreint donc à une mécanique de vie millimétrée en totale contradiction avec les lois religieuses, délaissant le repas du Sabbat pour sa promenade quotidienne de 19 heures.

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Plus généralement, elle relègue les pratiques religieuses en arrière-plan, jusqu’au jour où elle se trouve confrontée à un événement inattendu. Elle, qui ne conçoit l’expression des sentiments que comme une forme de soumission de la pensée face à l’instinct primaire, tombe amoureuse de l’un de ses collègues de travail, Jamel, un journaliste algérien exilé de confession musulmane. S’ensuivra tout un bouleversement de ses fondamentaux.

Pas exempt de tout reproche

Mais au-delà de la simple histoire d’amour, quelques problématiques sous-jacentes sont abordées dans La Petite Jérusalem, notamment les limites de l’interaction entre les communautés, conséquence directe des règles strictes de la religion.

Et c’est justement là que la production pêche, puisque le point de vue développé est souvent unilatéral. Un manque d’ubiquité qui s’avère criant dès lors que sont évoqués les conflits entre juifs et arabes, puisqu’il est question de synagogues brûlées, de juifs agressés en pleine rue sans même qu’un rapport de force n’ait été engagé.

Une vision du problème tronquée, qui sombre un peu dans le stéréotype de la persécution, ôtant de fait la possibilité au spectateur de se forger sa propre analyse de la situation. Des défauts qui ne nuisent en rien au déroulement de l’histoire, mais qui alourdissent l’ensemble. L’exemple le plus frappant est sans conteste cette métaphore de fin de film où une maison -construite en Lego par des enfants et censée représenter leur future demeure en Israël est détruite par l’un d’entre eux qui simule une attaque avec un jouet.

Ici encore, la représentation partiale du conflit israélo-palestinien est déroutante, malgré la pertinence de l’image. Quelques autres bémols sont également à déplorer, notamment le cliché classique de l’adolescente à la dérive qui tente de trouver son salut dans l’armoire à pharmacie, mais globalement, La Petite Jérusalem est un film intéressant.

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Le défi était ardu, et même si quelques écueils majeurs n’ont su être évités par manque de maturité, la première réalisation de Karin Albou est des plus encourageantes et mérite que l’on y porte un oeil attentif.

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