On entend souvent des gens dire qu’ils ont vécu un moment historique: les premiers pas de l’homme sur la lune, la mort de John Kennedy, la chute du mur de Berlin. Pour Monique Maury Léon, «si jamais les gens ont eu conscience de vivre l’Histoire, celle qu’on met dans les livres, c’est bien les gens de Sainte-Mère-Église, cette nuit du 5 au 6 juin 1944.» Cette nuit où les Américains ont chassé les soldats allemands d’un petit village normand.
Monique Maury a 19 ans en 1944 (vous pouvez calculer son âge aujourd’hui). Avant d’oublier ses souvenirs du débarquement américain, elle a décidé de les raconter à sa petite-fille Séverine dans un récit tout simplement intitulé Sainte-Mère-Église libérée. (Séverine est la petite-fille de Monique Maury et de Pierre Léon.) Présenté dans une édition bilingue, l’ouvrage est bien documenté et abondamment illustré; il est surtout profondément humain et humaniste.
Dès le début de son récit, Monique Maury Léon écrit que «le commerce, la politique, et à vrai dire, la vie quotidienne de tout un chacun dans la presqu’île de Cotentin, était totalement sous le contrôle de l’armée allemande.» Les soldats occupaient les maisons de leur choix. Pour se débarrasser de ses pensionnaires malvenus, madame Maury demanda à ses enfants de tousser le plus possible en leur présence. Craignant d’être en présence de tuberculeux, les soldats allemands n’ont plus jamais réquisitionné de chambres chez les Maury.
Le récit de Monique Maury Léon regorge de savoureuses anecdotes comme celle-là. L’auteure note, par exemple, qu’elle a suivi des cours d’anglais pendant sept ans mais qu’elle ne pouvait guère s’exprimer dans la langue de Shakespeare. La seule phrase qu’elle savait bafouiller était «ze gueurle iz ine ze classroume».
Plus tard, dans un lycée de Paris, l’institutrice d’anglais lui fera sentir que son accent est si terrible qu’elle ferait mieux «de retourner au cul de ses vaches». Cela n’a pas empêché Monique Maury et sa sœur Claudine de travailler comme interprètes dans l’armée américaine et de gagner de l’argent qui les aida à s’installer quelques mois plus tard dans leur vie étudiante.