Un peuple qui n’a pas de héros n’a pas d’avenir

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Publié 01/03/2011 par Paul-François Sylvestre

Au Québec, dans les Pays-d’en-haut plus particulièrement, le curé Labelle fait figure de héros. Antoine Labelle a été curé de Saint-Jérôme, colonisateur des cantons au Nord de Montréal et sous-ministre de l’Agriculture. Dans un roman intitulé Les Chemins du Nord, Robert W. Brisebois retrace l’œuvre d’un homme qui prenait beaucoup de place… physiquement, patriotiquement et politiquement.

Le roman met en scène une galerie de personnages et de personnalités. Les premiers sont fictifs, les seconds sont réels. Outre le curé Labelle, les personnalités incluent sa mère Angélique (appelée mouman), le secrétaire d’État fédéral Joseph-Adolphe Chapleau, le premier ministre québécois Honoré Mercier, l’évêque Édouard-Charles Fabre et le pape Léon XIII, pour n’en nommer que quelques-uns.

Si le curé Labelle prend beaucoup de place physiquement, c’est qu’il mesure six pieds, pèse trois cents livres et intimide avec «sa grosse voix de prédicateur grognon».

Le romancier ajoute que «l’ego du curé de Saint-Jérôme était encore plus gros que son anatomie». Tout au long du roman, on le voit se délecter de repas copieux et afficher nonchalamment sa gourmandise.

En célébrant les trois messes basses de Noël, il se surprend de «bégayer les orémus dans des visions de dindons grassouillets et de cretons bien gras».

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La colonisation des cantons du Nord vise à «sauver le pays et la race». Dans les années 1880, il faut freiner l’exode des Canadiens français vers les filatures de la Nouvelle-Angleterre. Labelle distribue des lots à de braves colons catholiques qui piochent de peine et misère dans un sol rocailleux.

Mais Labelle demeure tenace; il est «le leader acharné du mouvement, parfois chaotique, de la colonisation de ce territoire boisé et caillouteux au nord de Montréal».

L’action du roman commence en septembre 1882 et se termine en janvier 1891, quelques jours après la mort de Labelle.

Au cours de cette période, le libéral Honoré Mercier mène une bouillante campagne électorale et prend le pouvoir à Québec. Il nomme Antoine Labelle au poste de sous-ministre de l’Agriculture et intervient avec succès auprès de Léon XIII pour que Labelle soit élevé à la dignité de protonotaire apostolique, donc avec le titre de monseigneur.

Roman historique, Les Chemins du Nord offre de savoureux dialogues des plus réalistes. Ainsi, lorsqu’un colon rend visite à Labelle pour lui expliquer qu’il n’a pas «une baptême de cenne pour payer ses chaussures», le curé le somme de ne pas jurer et lui suggère de dire «tête de pipe» ou «nom d’un chien» lorsqu’il est fâché.

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Le colon enchaîne en clamant: «j’ai pas une hostie de tête de pipe de cenne».

Lorsqu’un autre colon se plaint d’être isolé au fin fond des bois parce qu’il n’y a pas de «baptême de chemin de fer», un député dans l’opposition lui répond qu’«un chemin de fer, c’est pas comme une route de garnottes, il faut de l’argent et un bon gouvernement». Le colon rétorque que «ça fait longtemps en bout d’criss qu’on attend! Notre patience commence à manquer d’endurance.»

La recherche qui sous-tend ce roman a été fort bien menée. J’ai été agréablement surpris d’y voir une référence politique à l’Ontario des années 1880.

Lorsque le nationaliste Mercier est sur le point de se faire élire, des White Anglo-Saxon Protestant craignent que «les colons canadiens-français poussés par Mercier et Labelle gagnent du terrain à l’ouest de l’Outaouais.

Les Ontariens ne prisent guère cette invasion de leur province sous la barrette d’un prêtre envahisseur. […] L’Ontario n’est plus en sûreté.»

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Le roman est truffé de réflexions ou de remarques finement ciselées. Certaines d’entre elles ont parfois l’effet d’un bon coup de poing.

En voici quelques exemples qui concernent les femmes: «Toutes les veuves ont un passé, seules les femmes libres ont un avenir.» «Sachez qu’une femme à qui il ne manque rien ne doit pas poser de questions à son mari.» «Dans tout mariage qui tient le coup, la femme doit créer un climat de désir si elle veut que l’homme déclenche un orage de volupté…»

Plusieurs remarques ont évidemment une saveur politique. Je ne vous en cite que trois: «il ne faut jamais contrarier un politicien au pouvoir»; «dans la religion politique, l’argent prend la place de la prière, parce que des élections, ça ne se gagne pas avec des prières»; «il est plus facile de décrocher des honneurs que de les mériter».

Avec Les Chemins du Nord, Robert W. Brisebois tisse le récit de l’une des grandes aventures de l’histoire québécoise.

Avant de devenir le repère des skieurs et des amants de la nature, les villages des Laurentides sont nés du travail d’hommes et de femmes qui, au grand bonheur de l’Église et de l’État, ont donné leur vie pour soulever les montagnes et ouvrir… les chemins du Nord.

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Robert W. Brisebois, Les Chemins du Nord, roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2010, 344 pages 25,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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