Un drôle de caractère

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Publié 21/03/2006 par Martin Francoeur

Perluète. Le mot ne vous dit peut-être pas grand-chose mais ce qu’il représente vous est sans doute plus familier. Si je vous dis qu’on la trouve encore sur tous les claviers d’ordinateur mais qu’on ne l’emploie pratiquement plus, est-ce que ça vous aide? Allez, cherchez un peu…

En fait, le symbole est tellement peu utilisé de nos jours qu’on ne sait plus si on doit l’appeler «perluète», «esperluète », «esperluette», «éperluète» ou encore «et commercial». L’usage n’est même pas assez puissant pour justifier qu’un terme l’emporte sur un autre. Vous avez trouvé? Il s’agit du symbole «&», qui n’est plus guère employé, correctement disons-le, dans certaines raisons sociales.

En fait, la perluète se veut une représentation graphique stylisée des lettres «e» et «t» combinées, avec la fantaisie que permettait parfois la calligraphie, puis les premiers pas de l’imprimerie. Le caractère typographique n’a pas eu la même veine que son proche parent, le «à commercial» appelé aussi «arobase», qui a littéralement été ressuscité par l’avènement du courrier électronique.

De nos jours, tout le monde connaît l’arobase. Ce n’était pas le cas dans les années 80, par exemple, alors que ce symbole «@» était presque devenu folklorique. La perluète n’a pas eu, du moins pas encore, une deuxième vie comme c’est le cas pour l’arobase.

Qu’en est-il de ce signe fantaisiste (&), que certains confondent peut-être avec une clef de sol en musique? Il représente tout simplement la conjonction de coordination «et». Au XIXe siècle, on trouvait ce signe à la fin de l’alphabet, où il était considéré comme une lettre que l’on nommait  «ète». Une hypothèse, que certains considèrent comme une simple rumeur, veut même que le nom «perluète» ait une origine enfantine…

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Puisque les enfants devaient ajouter le «ète» à la fin de l’alphabet qu’il devait réciter, on leur faisait parfois ajouter un mot amusant: «pirlouette» ou «perluète», par une sorte de jeu, pour le terminer par une rime plaisante.

Mais l’origine du mot demeure confuse. D’autres spécialistes prétendent que «perluète» ou «éperluette» pourrait être le résultat d’un croisement entre «épeler» et «pirouette». Le Robert, quant à lui, ne fait que se succéder une série de «peut-être» dans la notice étymologique qui accompagne le mot «esperluette». On y évoque une possible origine du latin perna, qui signifie «jambe», ou du français espere, qui signifie «sphère».

L’allusion que certains font à la  «pirouette» pourrait quant à elle s’expliquer par la construction graphique du symbole «&», qui demande une certaine agilité de la plume…

Aujourd’hui, les dictionnaires et les grammaires font encore mention de la perluète mais indiquent que son utilisation doit se limiter à des raisons sociales. En Occident, il arrive encore qu’on le voit entre deux patronymes, prénoms ou initiales, ou encore dans des expressions telles que «& Fils», «& Frères», «& Associés» ou «& Cie».

On nous dit d’ailleurs d’éviter de l’utiliser pour joindre deux noms communs, qu’ils soient écrits ou non en majuscules, ce qui empêche à toutes fins utiles de voir apparaître la perluète dans un texte courant.

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Curieusement, le signe demeure utilisé en calligraphie, parfois dans une forme légèrement simplifiée. Évidemment, comme les calligraphes se font rares, cela demeure un emploi exceptionnel.

Tout n’est pas perdu pour la perluète… L’informatique lui a fait une place, mais dans l’ombre. Les programmeurs connaissent bien le symbole puisqu’il entre dans les commandes couramment utilisées pour l’exécution de fonctions, dans certains langages informatiques.

Mais pour le commun des mortels, la perluète demeure un signe presque folklorique, que l’on aperçoit sur les panneaux en devanture de certains commerces: «Gagnon & Frères», «Blondin & Associés», «Lefebvre & Fils».

On dit de ce logogramme qu’il est plutôt joli. Ce n’est pas faux. Certaines polices de caractères ont développé des représentations impressionnantes et très artistiques de la perluète. Mais une chose demeure certaine: pour bien la reproduire à la main, il faut beaucoup de pratique. Autrement, il peut facilement perdre son charme.

Auteur

  • Martin Francoeur

    Chroniqueur à l-express.ca sur la langue française. Éditorialiste au quotidien Le Nouvelliste de Trois-Rivières. Amateur de théâtre.

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