Un bonheur si fragile: mille pages de pur délice

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 18/05/2010 par Paul-François Sylvestre

Auteur des best-sellers La Poussière du temps, À l’ombre du clocher et Chère Laurette, Michel David a vendu près de 800 000 exemplaires de ses romans. Tout un exploit! Sa nouvelle saga intitulée Un bonheur fragile risque de connaître un succès semblable, car elle dépeint avec brio le Québec rural au tournant du XXe siècle, le tout en ayant recours à un mélange d’anecdotes savoureuses et de personnages attachants.

Les précédents romans de Michel David ont tous été des sagas en quatre tomes. Ce sera aussi le cas pour Un bonheur fragile, dont les tomes 1 et 2 ont déjà paru.

Le Québec rural que décrit l’auteur est représenté par le village de Saint-Paul-des-Prés, dans le nouveau diocèse de Nicolet. Dans le premier tome, Corinne Joyal épouse Laurent Boisvert.

Elle est issue d’une famille dont les membres sont liés par l’amour et l’esprit d’entraide, mais elle découvre rapidement que son mariage l’a propulsée dans une belle famille où l’argent et l’égoïsme sont rois.

Elle ne tarde pas aussi d’apprendre que son mari est un ivrogne, un paresseux et un coureur de jupons.

Publicité

Le romancier tient ses lecteurs en haleine en dosant bien les multiples rebondissements, les dialogues on ne peut plus colorés, les scènes de ménage virulentes et les rivalités politico-religieuses.

Toute-puissance du clergé

La toute-puissance du clergé ressort clairement dans les deux premiers tomes. À chaque cérémonie de mariage, monsieur le curé insiste sur «l’obéissance que la femme devait à son mari et sur ses lourdes responsabilités de gérer un foyer chrétien».

Lorsqu’il fait sa visite paroissiale, le pasteur rabroue une mère de famille qui n’a que deux enfants après dix ans de mariage. «Une mère de famille est faite pour donner naissance à des enfants.

C’est l’unique raison du mariage, sinon l’acte de chair devient un péché, un péché mortel qui peut vous valoir les flammes de l’enfer pour l’éternité.»

Et quand le Mardi gras approche, il monte en chaire pour dénoncer les abus engendrés par ces festivités: «Selon le prédicateur, il allait de soi que la responsabilité reposait d’abord sur les épaules des mères de famille chrétiennes qui devaient voir à ce que tous les leurs évitent les danses lascives et l’alcool en cette veille du premier jour du carême.»

Publicité

Il est évidemment question de politique. Nous sommes en 1900-1901; Wilfrid Laurier est Premier ministre du Canada, Simon-Napoléon Parent est premier ministre du Québec, donc deux gouvernements rouges (libéral).

Mais les villageois ont élu un député bleu (conservateur); ils se rendent compte qu’«avoir un député bleu à Québec quand le gouvernement est ben rouge, c’est ben plus une nuisance qu’autre chose.»

Style direct

Le style de Michel David est direct et efficace. Il ne tourne pas autour du pot. De plus, ses deux romans sont truffés d’expressions parfois assez colorées; en voici quelques exemples: «maigre comme un jour sans pain», «un gars de la ville qui parle en termes», «il va en manger une bonne pour lui apprendre à obéir; quand ça entre pas par un bout, ça entre par l’autre».

Une expression que je ne connaissais pas est la suivante: «il va avoir affaire à ma soutane»; c’est évidemment le curé qui dit cela, ici pour s’élever contre l’ouverture d’un bar-hôtel dans sa paroisse.

Le mari de Corinne a mauvais caractère et ses phrases sont souvent ponctuées de jurons tels que jériboire, calvince, torrieu, bonyeu. Mais chose surprenante, les dialogues ne font jamais écho à des expressions comme astheur (à cette heure), icitte (ici), vouère (voir), etc.

Publicité

Peut-être la langue québécoise était-elle plus châtiée en 1900 qu’en 1960!

Les prénoms, eux, s’avéraient différents; il n’est pas rare de voir une personne prénommée Côme, Eudoxie, Gonzague, Aristide, Honorine, Eusèbe ou Amédée.

Un bonheur si fragile fait souvent référence à la petite et à la grande histoire. À titre d’exemple, l’auteur mentionne le feu à Hull, la première caisse populaire fondée par Alphonse Desjardins, la visite du duc et de la duchesse d’York, la mort de la reine Victoria et le couronnement d’Édouard VIII.

Dans le roman, l’évêque de Nicolet se nomme Mgr Elphège Gravel; ce n’est pas un personnage, mais bien la personnalité de l’époque: Mgr Gravel fut le premier évêque de Nicolet (1885-1904).

L’inspecteur Étienne Brûlé

Petite anecdote: une enquête policière est menée à Saint-Paul-des-Prés et l’inspecteur de police se nomme Étienne Brûlé. L’auteur aurait-il choisi ce nom s’il avait su que le premier Blanc en Ontario est Étienne Brûlé, protégé de Samuel de Champlain? J’en doute.

Publicité

Chaque tome a plus de 500 pages. Je les ai lus en moins de trois jours. C’est vous dire à quel point Michel David a su retenir mon attention et mon intérêt.

Style clair et vivant, personnages brillamment campés, intrigue suavement menée. J’ai hâte de plonger dans le tome 3.

Michel David, Un bonheur si fragile, tome 1 (L’engagement), roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2009, 536 pages, 29,95 $.
Michel David, Un bonheur si fragile, tome 2 (Le drame),roman, Montréal, Éditions Hurtubise, 2010, 512 pages, 29,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur