Soudan : la révolution portée par des femmes

Cette photo du 8 avril d’Alaa Salah, 22 ans, incarne la révolution soudanaise. L’étudiante en architecture chante et soulève la foule devant le quartier général de l’armée à Khartoum.
Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 25/04/2019 par Jean-Pierre Dubé

Dix jours après la destitution du président Omar el-Béchir, en place depuis 30 ans, la révolution soudanaise connaît de nouvelles tensions suivant la rupture des pourparlers entre l’armée et les organismes civils.

Les chefs populaires ont refusé le 22 avril la demande du Conseil militaire de mettre fin aux manifestations et de lever les barricades. La sociologue Amal Madibbo a participé en décembre à la mobilisation des Soudanais.

Le prix du pain

«Quand le gouvernement a voulu tripler le prix du pain, c’est là que ça a commencé», relate la professeure de l’Université de Calgary. «C’était la fin de la patience. On sentait vraiment qu’on devait mettre un terme au régime. »

Amal Madibbo était de retour au Soudan, comme chaque année, pour enseigner bénévolement dans son pays d’origine. «J’étais à l’Université de Khartoum, on nous a demandé de quitter. On sentait la tension. On savait que quelque chose arrivait. J’étais là le 19 décembre quand les manifs ont débuté.»

«En voyageant dans trois régions du pays, j’ai vu que cette fois la révolution était différente, elle était nationale. On était prêt à renverser le régime: enough is enough! Ce n’était pas seulement urbain mais rural, il y avait des hommes et des femmes, de toutes les classes sociales. La diaspora – environ cinq millions de personnes – était déjà mobilisée. J’étais très heureuse d’être là.»

Publicité
La sociologue Amal Madibbo (au centre), de l’Université de Calgary, de passage au Soudan pendant quatre semaines en décembre 2018, témoigne d’un tournant dans la révolution.

Un dialogue entre l’armée et la classe politique

Depuis le début du mois d’avril, des milliers de manifestants occupent la place devant le quartier général de l’armée à Khartoum. Le 8 avril, le mouvement est marqué par les photos devenues virales de Alaa Salah, visage et cheveux à découvert, debout sur une voiture. L’étudiante de 22 ans en architecture chante et soulève la foule de la capitale.

«Alaa est devenue une icône», reconnaît Amal Madibbo. «Elle n’aurait pas fait ça si elle n’était pas entourée par des centaines de femmes. Elle a confirmé leur rôle clé dans la révolution. Elles essaient d’incarner les grandes mères qui ont lutté contre la dictature et les mères reines de l’histoire nubienne (de l’Antiquité).»

L’ex-président Omar el-Béchir

Vint ensuite le coup d’État militaire, le 11 avril. Le président Omar el-Béchir est destitué et le ministre de la Défense met en place un gouvernement de transition jusqu’à la tenue d’élections libres en 2021. Le lendemain, le Conseil militaire annonce que le futur gouvernement sera civil et il s’engage à un dialogue entre l’armée et la classe politique.

« Le peuple ne veut pas de ce conseil transitoire »

 

Deux ans, c’est trop long, estime Amal Madibbo. Les Soudanais attendent depuis le renversement du gouvernement démocratique en 1989. Le pays vit une période de transition politique et tout peut arriver, selon la professeure de sociologie des révolutions et mouvements sociaux. «On veut un gouvernement entièrement civil et on pense que c’est ce qui va arriver.»

Publicité

«Le peuple ne veut pas de ce conseil transitoire. Déjà, on a mis le président déchu en prison, un geste remarquable de la part des militaires. On demande que l’armée fasse ce qu’elle doit faire: protéger la souveraineté du pays. Les manifestants sont déterminés, ils ne vont pas mettre fin aux sit-in

16 300 Canadiens d’origine soudanaise

Le Soudan est situé en Afrique du Nord, bordé par la Libye et l’Égypte au nord, la mer Rouge à l’est, la République centrafricaine à l’ouest et par le Soudan du Sud au sud. L’arabe et l’anglais sont les langues officielles des 43 millions de Soudanais, à majorité de confessions musulmanes.

Amal Madibbo est née dans l’Ouest de la république, où l’on enseigne le français en raison de la proximité de pays francophones. Elle a quitté le Soudan pour des études universitaires en France et elle a émigré au Canada en 1992.

Selon le dernier recensement, le Canada compte quelque 16 300 immigrants du Soudan et du Soudan du Sud (indépendant depuis 2011). Mais d’après la sociologue, ils seraient deux fois plus nombreux.

Auteur

  • Jean-Pierre Dubé

    Journaliste à Francopresse, le média d’information numérique au service des identités multiples de la francophonie canadienne, qui gère son propre réseau de journalistes et travaille de concert avec le réseau de l'Association de la presse francophone.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur