Revenir à Berlin : pénible et nécessaire leçon de mémoire

Jonathan Lichtenstein, Revenir à Berlin
Jonathan Lichtenstein, Revenir à Berlin, Sur les traces de mon père, récit biographique traduit de l’anglais par Claire Desserrey, Paris, Éditions JC Lattès, 2022, 330 pages, 34,95 $.
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Publié 04/05/2022 par Paul-François Sylvestre

Je ne connaissais pas le Kindertransport avant de lire Revenir à Berlin, de Jonathan Lichtenstein, un récit autobiographique où les démons du passé sont affrontés de manière singulière, édifiante et poignante.

Le Kindertransport (transport d’enfants) est le nom de l’opération humanitaire grâce à laquelle environ 10 000 jeunes réfugiés, juifs pour la plupart, partirent de l’Allemagne, de la Pologne, de l’Autriche, des Pays-Bas et de la Tchécoslovaquie pour la Grande-Bretagne entre 1938 et 1940.

L’un d’eux à bord du dernier convoi a douze ans et fait le voyage seul. Il s’agit du père de l’auteur, Hans Lichtenstein.

Le voyage inverse, vers Berlin

À l’aube de ses 80 ans, Hans indique à son fils le désir de faire le voyage inverse, de retourner à Berlin. Ils partent en 2010 pour un voyage qui débouche sur la conversation qui leur a manqué toute leur vie. Jusqu’à ce moment-là, ils en étaient incapables.

Le récit illustre la façade que le père a mis tant de soin à édifier, «qui pourrait s’écrouler et révéler ce qu’il a en lui». C’est une terreur transportée au plus profond de lui-même. Les souvenirs affluent et encerclent Hans, «telle une violente bourrasque. Ils se glissent en lui, le transpercent.»

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Les chapitres alternent entre le retour du père à Berlin et des flash-backs dans l’enfance et l’adolescence du fils. Il y a certaines longueurs, comme ces sept pages sur la pêche au maquereau lorsque le fils a sept ans.

Des descriptions sortent de l’ordinaire

Certaines descriptions sortent de l’ordinaire.

Ainsi, pour décrire comment son père se ronge les ongles jusqu’au sang, Jonathan Lichtenstein écrit: «Leurs cannelures inégales sont dignes d’un songe à la Dali, d’un détail de tableau de Bruegel l’Ancien, d’une installation du Retour des réprimés de Louise Bourgeois.»

Les échanges sont le plus souvent assez brefs et lapidaires. Lorsque le fils dit à son père: «Tu as grandi dans un beau quartier». Il répond: «Oui, sauf pour les Juifs.»

Après avoir visité Sachsenhausen, un camp de la mort, le père dit à son fils:
– Tu comprends maintenant.
– Quoi?
– La chance que j’ai eue.

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Certaines choses doivent être endurées seules

Après leur visite du Musée juif de Berlin, l’auteur souligne que cela a demandé du courage à son père, de la noblesse. «Survivre à ce qu’il a vécu et venir ici. Il a un cœur de lion, la force d’un taureau. Il est environné par la grâce.»

Certaines choses peuvent difficilement être dites, exprimées ou partagées. Elles doivent être endurées seules, sans mots, sans sons. «L’homme le plus triste que j’aie jamais vu. Le plus solitaire que j’aie jamais vu. Mon père. Hans.»

En présence de son paternel, Jonathan n’est qu’une loque, tant sur le plan physique que sur le plan affectif.

On assiste à leur mutisme respectif. Il finit par comprendre que si son père et lui ne peuvent communiquer par des mots, ils partagent l’intuition que, par le biais d’expériences hors du commun, ils cherchent à rester en vie.

«Le danger extrême provoquait en nous un dévorant appétit de vivre.»

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Voyage à Berlin nécessaire

De retour en Grande-Bretagne, au chevet de son père mourant, l’auteur comprend qu’ils sont maintenant égaux… «Et qu’ensemble nous rétablissons en ces quelques instants le lien qui nous unissait, ce lien qui avait été rompu toute notre vie.»

Le voyage à Berlin a permis au fils d’absorber une partie du passé de son père. Le silence partagé a été lourd, insupportable. Mais nécessaire pour lever le voile sur des fragments de ténèbres.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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