Réflexions sur le Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens

Mémoires parallèles

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 06/02/2007 par Dominique Denis

Comme tous les galas, celui-là a connu sa part de magie et sa part de couacs, alternance d’émotions partagées et d’occasions manquées.

Mais contrairement aux autres remises de prix, qu’il s’agisse des Junos, des Grammys, des Félix ou des Trille Or, le gala du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens, dont la 4e édition s’est tenue au Palais des congrès le 28 janvier, ne fait que des gagnants puisqu’il se donne pour mandat de célébrer les artistes – et les chansons – qui sont fermement ancrés dans notre mémoire collective, de même que ces œuvres et créateurs dont il convient de rappeler qu’ils sont nés au nord du 49e parallèle.

Une célébration qui revêt une importance particulière au Canada anglais, où l’on réserve traditionnellement ses élans de patriotisme pour les héros de la patinoire.

Mais ce que l’événement a aussi servi à réitérer, et que nous savions depuis toujours, c’est l’existence de deux mémoires parallèles au Canada, celle des anglophones et celle des francophones (l’intronisation de chansons comme Paquetville, des Acadiennes Line Aubut et Édith Butler, nous empêche de parler exclusivement du Québec). Bien sûr, nous sommes habitués à cette danse bilingue et biculturelle, mais puisqu’il ne s’agissait pas ici d’un simple rituel protocolaire, mais bien de chansons, qui sont au cœur de nos vies et de nos identités, l’exclusivité mutuelle des frissons et des souvenances me semble particulièrement regrettable.

En effet, il est probable qu’une bonne part du contingent francophone ait été capable d’accompagner l’animateur anglophone Andrew Craig, le temps d’un sing-along impromptu sur le Big Yellow Taxi de Joni Mitchell, la principale intronisée anglophone de 2007. En revanche, j’aurais payé cher pour savoir ce qui trottait dans la tête des anglophones alors qu’Isabelle Boulay, Laurence Jalbert, Mario Pelchat et Patrick Bruel célébraient quelques grands moments de l’œuvre de Jean-Pierre Ferland, dont ils ignoraient jusqu’à l’existence il y a quelques semaines.

Tandis que James Taylor, venu chanter Woodstock, a joué les grands seigneurs en saluant Joni – et le public – dans un français impeccable, un de mes principaux souvenirs de cette soirée aura été d’observer, lors du cocktail pré-gala, ce cher George Langford, l’auteur du Frigidaire, un peu à l’écart avec sa conjointe et son drink, entouré d’artistes et de paparazzi qui, tout en sachant qu’il devait bien s’agir d’un artiste, se demandaient sans doute Who the hell is that? (C’était au tour de Langford d’être mystifié, quelques instants plus tard, alors que le groupe Karkwa massacrait allégrement sa petite chanson…)

Publicité

Pour un grand nombre de Québécois, qui persistent à ironiser que la culture musicale du Canada anglais se résume à Gordon Lightfoot et Anne Murray, le Panthéon joue un rôle de sensibilisation des plus salutaires, mais on est en droit de douter, vu l’obstacle de la langue, que le même processus opère en sens inverse. Et comment diable peut-on expliquer à nos compatriotes le plaisir coupable que procure, trente ans plus tard, l’écoute de Comme j’ai toujours envie d’aimer, une autre des chansons intronisées cette année?

Dans son incarnation actuelle, le gala est déjà essentiel en ce qu’il assume un double rôle: celui de rappeler aux Rest of Canada que d’innombrables succès planétaires ont vu le jour dans la tête d’artistes canadiens (cette année, l’incontournable Spinning Wheel, de David Clayton-Thomas, nous en fournissait une autre preuve), mais aussi celui d’inviter les Québécois à briser leur insularité en considérant leur non moins importantes contributions culturelles comme faisant partie du même patrimoine.

En fin de compte, tant que le gala restera un événement torontois, il est peu probable que le Panthéon donne lieu à un véritable dialogue transculturel.

Et pourtant, il suffirait de presque rien, comme dit la chanson. La dynamique chaleureuse instaurée dans les rapports entre les animateurs Sophie Durocher et Andrew Craig pourrait servir de modèle au volet musical de la soirée. Pourquoi ne pas oser, et orchestrer quelques duos entre artistes anglophones et francophones, et demander à des sommités – politiques, littéraires ou autres – de rappeler comment certaines œuvres issues de l’autre solitude les ont touchées? L’événement, déjà très riche en émotions, y gagnerait du coup en audace – et en pertinence.

Auteur

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur