Quand les « indiennes » ont révolutionné la mode européenne

Les toiles imitant celles des Indes sont appelées des «indiennes». (p. 191)
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Publié 17/06/2018 par Gabriel Racle

Pour saisir le sens et l’importance d’une découverte, il faut se replacer à l’époque où celle-ci a été faite.

En Europe, dans le passé, c’étaient essentiellement les ressources locales qui constituaient la richesse d’un pays et offraient à ses habitantes ce dont ils pouvaient avoir besoin pour vivre, matériaux de construction, aliments pour se nourrir, tissu pour se vêtir, par exemple.

Mais l’exploration d’autres parties du monde a commencé. La période historique qui va du début du XVe siècle jusqu’à celui du XVIIe siècle est celle des «Grandes découvertes».

L’Inde, que l’on peut alors atteindre en faisant le tour de l’Afrique, suscite un grand intérêt, en France en particulier. Colbert, un important ministre du roi Louis XIV, crée en 1664 la Compagnie française pour le commerce des Indes orientales, qui y établit en 1668 un premier comptoir, un emplacement commercial.

C’est à partir de cette date que les premières «toiles peintes» – pour utiliser une expression de l’époque – sont importées en France par les bateaux de la Compagnie des Indes. «C’était de véritables toiles peintes, entièrement exécutées à la main. Ces étoffes, d’un prix élevé, n’étaient achetées que par les gens de la Cour de Louis XIV ou la grande aristocratie.»

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Caraco à la française, p. 41.

Les indiennes

Ces tissus connaissent rapidement un grand succès, ils sont plus légers que ceux que l’on trouve alors et sont agréablement décorés.

Devant l’engouement pour ces tissus et leur prix élevé, les fabricants qui ne savent comment ils sont coloriés, cherchèrent à les imiter en utilisant des toiles de coton importées de I’Inde. Ces toiles imitant celles des Indes sont alors appelées des « indiennes », commerce oblige.

Jusqu’alors, l’habillement était confectionné avec de la laine ou, plus richement, de la soie, que l’on trouvait sur place. Avec ces nouveaux tissus, le coton fait son apparition et crée une concurrence avec les fabricants de lainages et de soieries qui, de ce fait, accusent les toiles peintes de leurs difficultés et demandent l’interdiction de ces nouveaux tissus.

Un décret de Louvois (1641-1691), secrétaire d’État et ministre d’État de Louis XIV, du 26 octobre 1686, ordonne à toutes les manufactures du royaume de cesser la fabrication des toiles et de détruire tous les moules d’impression. Cette interdiction va durer 73 ans, jusqu’en 1759, mais elle est à l’origine d’une fraude, d’une contrebande et d’une production clandestine.

Le ballon de Blanchard, p. 147.

Liberté d’entreprise

Mais devant l’hostilité du public à la prohibition et les pressions des manufacturiers, un arrêt de l’autorité gouvernementale proclame la liberté d’imprimer et d’importer les étoffes.

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Des Marseillais se mettent à produire eux-mêmes ces tissus qui arrivent dans leur port et ensuite d’autres manufacturiers en font autant en France pour se propager en Suisse, et finalement gagner toute l’Europe.

Les indienneries passent de 20 établissements de production en 1799, avec 400 à 500 ouvriers, à 27 en 1806 avec 600 à 800 ouvriers selon la saison. La production s’accroît de 106 000 à 129 000 pièces de 25 aunes (1 aune = 118,84 cm env.) et propose une gamme diversifiée comme des: toiles traditionnelle, des tissus pour des robes ou d’autres vêtements, des décorations à fleurs ou des indiennes à personnages, etc.

Palempore aux ambassadeurs, p. 44.

Livre d’art

On pourra se rendre compte de la richesse de ces productions grâce au livre d’art Les Indiennes. Un tissu révolutionne le monde!, que nous propose la Bibliothèque des Arts (Suisse). En effet, cet ouvrage compte plus d’illustrations que de pages et ces reproductions sont toutes d’une grande qualité artistique.

Cet ouvrage accompagne une exposition qui se tient au Château de Prangins en Suisse, entre Lausanne et Genève, jusqu’au 14 octobre 2018. Des spécialistes expliquent dans ce livre la collection et proposent «une incroyable plongée dans l’histoire du premier produit mondialisé, consommé sur l’ensemble des continents.»

Ce «petit évènement», aussi bien l’exposition que ce livre-catalogue, révèle les richesses de la collection privée d’un expert en étoffes anciennes, que le Musée national suisse a acquise récemment. On peut donc voir dans cet ouvrage, si l’on n’a pas l’occasion de visiter Prangins au bord du lac Léman, des toiles aux motifs dessinés par des artistes talentueux.

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Indiennes. Un tissu révolutionne le monde. Bibliothèque des Arts, 2018, relié, 28×24 cm, environ 280 illustrations, 232 pages.

Histoire illustrée

On peut admirer une grande variété de productions: motifs floraux et bucoliques, allégories diverses, fables de La Fontaine ou thèmes musicaux, des paysages, des sujets d’actualité: le premier vol en montgolfière, la prise de la Bastille, le commerce du bois d’ébène, et bien d’autres. Il n’est que de tourner les pages. Ces illustrations sont reproduites presque toujours dans la couleur sépia d’origine.

On assiste ainsi, au fil des pages et des modèles reproduits, aux résultats de cette découverte que fut celle de ces toiles en coton des Indes. Une surprenante et agréable découverte historique dont nous bénéficions encore.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

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