Quand l’assassin est la victime du crime

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Publié 16/10/2012 par Paul-François Sylvestre

Le comportement humain est complexe. L’écrivaine Claire Bergeron, qui n’en est qu’à son second roman, nous montre comment «certains aspects de l’être humain nous échappent parfois [car] l’homme possède tellement de facettes.» C’est ce qui se dégage de La Promesse d’Émile, roman habilement écrit où nous découvrons que la victime d’un assassinat est… l’assassin!

L’histoire se passe en Abitibi; elle commence en 1990, puis nous faisons plusieurs retours en arrière, tantôt vers 1946 ou 1958, tantôt vers 1973. Dans un petit village près d’Amos, la famille d’Ovide Caron vit au bout du rang no 6. À l’abri des fureteurs et fouineuses, le paternel transforme sa maison en une «monstrueuse prison où règnent la peur et la violence». Ovide Caron est un sociopathe de la pire espèce qui bat, maltraite et viole ses propres enfants.

D’une saison à l’autre, d’une année à l’autre, les garçons et filles souffrent «de longs jours et d’interminables nuits dans la frayeur des sévices […] aux griffes de ce dépravé.» Les jumeaux Émile et Richard tentent de se protéger l’un l’autre. Un jour, le père est tellement furieux, qu’il plante sa fourche dans la terre, mais elle atteint le pied de Richard et lui transperce le pied de part en part. Émile est empêché de secourir son jumeau qui est finalement jeté sur le wagon comme un vulgaire sac de patates.

Chaque fois qu’Émile pense aux sévices subis régulièrement par tous les membres de sa famille, la honte rejaillit.

«La honte, il l’avait chevillée au corps depuis son enfance.» À 14 ou 15 ans, les jumeaux décident de s’évader. «Je vais revenir, maman, dès que je trouverai un moyen de vous arracher aux griffes du monstre», lance Émile. «Je vous le promets solennellement.» D’où le titre du roman: La Promesse d’Émile.

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Une des filles d’Ovide Caron réussit également à s’enfuir durant son adolescence. Pour survivre, Fabienne devient danseuse nue dans un bar miteux. Un jour, un motard s’arrête à une cantine et demande s’il peut partager son repas avec une femme qui semble esseulée. Fabienne accepte et fait la connaissance de Gabriel, le curé du village qu’elle a quitté. Gabriel est aussi un homme. «Ces deux personnes indissociables – et curé et homme – «éprouvent chacune à leur façon des sentiments pour Fabienne».

Vous devinez la suite, n’est-ce pas?

Lorsqu’Émile peut finalement revenir dans le coin, il prend contact avec Fabienne et rencontre Gabriel, toujours curé. Ensemble ils élaborent un plan pour prendre Ovide Caron en flagrant délit. «Il n’est pas facile de jeter le diable hors de l’enfer», mais le plan réussit et le monstre est arrêté pour avoir violé une des ses fillettes lorsque le reste de la maison est à la messe du dimanche.

Pour éviter que tous ses autres crimes s’étalent sur la place publique, Ovide plaide coupable et est condamné à deux ans moins un jour de prison. Lorsque le roman commence, Ovide est sur le point de retrouver sa liberté (les retours en arrière commencent au chapitre 4). Son fils Émile l’attend à sa sortie de prison et une bagarre éclate. Émile poignarde son père qui meurt sous le coup.

Une bonne partie du roman décrit le procès qui s’en suit. Une jeune criminaliste accepte de défendre Émile qui a reconnu sur-le-champ avoir tué son père. Mais a-t-il voulu le tuer? «Les gens n’ont pas toujours des raisons simples d’agir», explique la jeune avocate. Les jurés devront lire entre les lignes pour comprendre ce qui s’est passé.

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Une fois tous les événements connus, le curé et plusieurs paroissiens se demandent comment de telles ignominies ont pu se produire sans que personne n’intervienne pendant quarante ans. Assistons-nous au «procès d’une communauté qui n’a rien remarqué des horreurs que vivait» la famille Caron?

Émile a-t-il frappé son père ou a-t-il frappé «sa souffrance et son désespoir devenus intolérables»? Sommes-nous en face d’«un geste désespéré commis par un homme dans la profondeur de sa détresse, […] une douleur qui dépasse le seuil de la tolérance»? Chose certaine pour l’avocate d’Émile, «avant d’être un assassin, mon client est une victime».

Je ne vous ai décrit que 20% de la longue descente aux enfers de la famille Caron. La romancière dévoile avec brio les nombreux secrets de la vie brisée d’une épouse, de ses filles et de ses fils. La promesse d’Émile est aussi une saga où se nouent les amours et les amitiés dans l’ombre de la justice.

Claire Bergeron, La Promesse d’Émile, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2012, 464 pages, 26,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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