Quand art inuit et art japonais se rencontrent

Partagez
Tweetez
Envoyez

Publié 15/02/2011 par Gabriel Racle

Ce titre peut paraître quelque peu paradoxal, étant donné la distance matérielle et culturelle qui sépare le Japon et le nord du Canada, où se regroupent les communautés inuit. Et pourtant, il existe un rapprochement entre ces deux civilisations et il se concrétise par une exposition intitulée «Estampes inuites…inspiration japonaise», présentée jusqu’au 15 mars dans la Galerie Prince Takamado de l’ambassade du Canada à Tokyo.

Une histoire

C’est toute une histoire qu’il faudrait raconter, pour expliquer comment l’influence du Japon, «le pays de la gravure», s‘est exercée sur les Inuit qui se lançaient dans la gravure.

On trouvera le détail de cette histoire dans une intéressante publication du Musée canadien des civilisations, qui porte le même titre que l’exposition, Estampes inuites… inspiration japonaise, 94 p.

Cette publication est sous-titrée «Les débuts de la gravure dans l’Arctique canadien»; elle comporte une introduction, deux exposés, un catalogue d’une trentaine de pages qui juxtapose estampes japonaises et travaux inuit, et comprend au total une cinquantaine de reproductions d’estampes, sans compter de nombreuses photographies.

Publicité

Au centre de cette histoire, Cape Dorset, au sud-ouest de l’île de Baffin, où l’on aurait retrouvé des traces d’habitation datant d’avant notre ère. Mais l’histoire de la gravure est évidemment plus récente et le récit qui nous est fait de ses origines ne s’aventure pas dans les méandres et les débats de la culture de Dorset.

Il commence par une petite histoire, celle d’un Inuk, chasseur et artiste très connu, qui découvre en 1957 les illustrations de deux paquets de cigarettes et trouve que peindre la même image a dû prendre un temps infini. James Houston, artiste canadien à l’emploi du gouvernement fédéral comme administrateur, aurait alors recouvert de suie une défense de morse gravée pour en tirer des images sur du papier hygiénique. Une jolie histoire, une jolie légende.

Un bon début

Les origines de la gravure seraient plus anciennes. Houston tentait depuis des années de commercialiser l’art inuit existant sous forme de sculptures sur pierre et ivoire ou de peaux agrémentées de motifs cousus.

Cherchant à étendre la diffusion de l’art graphique inuit, Houston avait remarqué que des œuvres d’art haïtiennes avaient la cote dans des musées et se diffusaient en Amérique du Nord.

Pourquoi alors «ne pas faire connaître un art qui permettrait de produire des œuvres graphiques conçues dans une perspective autochtone, comparables à ce qui se faisait au Congo ou à Haïti», écrivait-il dans un rapport à Ottawa en 1955.

Publicité

En 1956, le gouvernement fédéral décide de créer à Cape Dorset un «atelier d’artisanat», pour accroître les revenus de la population par la vente d’œuvres d’art autochtones. Houston s’installe à Cape Dorset et lance un plan pour enseigner à douze élèves «à fabriquer des blocs de pierre dont ils se serviraient pour imprimer manuellement des motifs inspirés de la tradition autochtone sur des tissus».

On voit ainsi se dessiner un cheminement logique qui, des illustrations sur peau passe à celles sur tissu, pour finir sur du papier. L’atelier imprime, avec une presse venue d’Ottawa, des cartes de vœux, du papier d’emballage.

Et surtout, les artistes réalisent leurs propres dessins et produisent des œuvres mises en vente dans les magasins de la Compagnie de la Baie d’Hudson à Winnipeg, en décembre 1958. Mais le grand départ sera donné par James Houston, au retour du voyage d’étude qu’il effectue au Japon en 1958.
Un maître d’œuvre

On ne sait trop comment Houston a découvert l’art japonais de l’estampe et décidé de se rendre au Japon en prenant sur ses congés accumulés.

«En raison d’un séjour prolongé en Arctique, j’avais droit à un congé de plusieurs semaines. Grâce à la Kokusai Bunbka Shinkokai, une formidable association japonaise visant l’établissement de relations culturelles internationales, j’ai obtenu un congé pour étudier les techniques de gravure du Japon.»

Publicité

Autant Houston était désireux d’apprendre les techniques japonaises, autant les Japonais étaient curieux de voir comment celles-ci pouvaient servir aux Inuit du Canada. Houston a donc bénéficié d’un traitement de faveur et a pu étudier auprès d’Un’ichi Hiratsuka, un des plus grands maîtres de l’estampe au monde.

De retour à Cape Dorset au printemps 1959, Houston fait part de ses nouvelles connaissances. Il rapporte des outils pour graver le bois, du papier spécial fait à la main, des gravures, et donne ainsi un nouveau souffle aux graveurs inuit de Cape Dorset.

Un nouveau départ

Un intéressant chapitre de la publication du Musée décrit ce processus évolutif, «Estampes voyageuses». Il faut noter, et ceci est important, que si les artistes inuit ont adopté l’estampe japonaise, c’est pour exprimer leur propre créativité et témoigner de leur histoire et de leur culture. Et ce faisant, ils ont acquis une renommée internationale. Avec ce petit livre bien illustré, le lecteur pourra visiter l’exposition et en connaître l’histoire.

Auteur

  • Gabriel Racle

    Trente années de collaboration avec L'Express. Spécialisé en communication, psychocommunication, suggestologie, suggestopédie, rythmes biologiques, littérature française et domaine artistique. Auteur de très nombreux articles et d'une vingtaine de livres dont le dernier, «Des héros et leurs épopées», date de décembre 2015.

Partagez
Tweetez
Envoyez
Publicité

Pour la meilleur expérience sur ce site, veuillez activer Javascript dans votre navigateur