Pour la suite des miracles

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Publié 06/06/2006 par Dominique Denis

D’emblée, le premier volume des sonates pour violon et clavecin de Bach s’était valu une place de choix au classement de mes coups de cœur de 2005 et, au fil des mois d’hiver, se retrouvait parmi cette petite poignée d’enregistrements qui possèdent la capacité de garder à distance la barbarie et la laideur du monde.

Avec Bach : Sonates pour violon et clavecin, Vol. 2 (Analekta), James Ehnes et Luc Beauséjour bouclent une intégrale qui mérite de s’imposer à titre de référence. Rien d’étonnant là-dedans, quand on sait le pedigree de Beauséjour (qui nous livrait récemment sa version des Variations Goldberg au Studio Glenn Gould), et la grâce indicible que conjure, dans tous les répertoires, l’archet d’Ehnes.

Dans ces partitions dont la virtuosité coule de source, Bach a élaboré un dialogue contrapuntique d’une complexité qui dépasse le modèle fixé par Corelli, préfigurant à bien des égards le classicisme de Haydn et Mozart. Le miracle de ces enregistrements est d’avoir capturé avec beaucoup de naturel cette formidable capacité d’invention du compositeur qui, à l’intérieur de formes rigoureusement préétablies, balisait un vaste espace de liberté.

Et dans ces lectures de Beauséjour et Ehnes, on en arrive par moments à ne plus entendre le violon ni le clavecin, mais tout bonnement un dialogue entre deux âmes soeurs.

La voix du hautbois

Seconde série de duos portant le simple titre de Bach (ATMA), que l’on doit cette fois à la hautboïste Louise Pellerin et à l’organiste Dom André Laberge, gravée à l’église abbatiale de Saint-Benoît-du-Lac, là où Laberge exerce ses fonctions monastiques.

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La principale différence entre cet enregistrement et le précédent tient au caractère plus hybride des pièces ici retenues: au carrefour du sacré et du profane, elles englobent des sonates, deux cantates, une reconstitution de concerto associé à une autre palette instrumentale, de même qu’un choral et une sarabande d’après Lully, laquelle permet à Laberge de quitter son rôle d’accompagnateur pour mettre en valeur l’instrument – et l’acoustique chaleureuse – de «son» église.

Ici, la virtuosité s’affiche moins que dans les oeuvres pour violon et clavecin, tandis que la dimension élégiaque de l’écriture de Bach se manifeste plus expressément, surtout dans les quelques adaptations de cantates dont les mélodies figurent parmi les plus bouleversantes – et mémorables – qu’il nous ait léguées.

Et lorsque Pellerin marie le lyrisme de la partition à celui de son instrument (notamment dans la célèbre cantate J’ai un pied dans la tombe), le frisson de bonheur qui nous parcourt ne peut provenir que d’une musique qui concilie sensualité et spiritualité.

L’architecture mozartienne

Je dois admettre que, de prime abord, c’est la pochette de Mozart The Mason (Oxingale Records) qui a attiré mon attention: on y dépeint un Mozart nu et athlétique, calculant les «divines proportions» de sa partition au moyen d’un compas, illustration concise des liens entre l’art et la science (et particulièrement la mathématique) qui prévalaient dans l’esprit des Francs-Maçons, un ordre auquel appartenait le compositeur.

Le jeune trio canadien, composé du violoniste Jonathan Crow (premier violon de l’OSM), de l’altiste Douglas McNabney et du violoncelliste Matt Haimovitz, nous offre d’abord une très sobre transcription mozartienne de six préludes et fugues de Bach (dont l’intérêt pour la numérologie était bien connu), question de nous prédisposer au magistral Divertimiento en mi bémol, K. 563, dans lequel Mozart applique certains principes francs-maçons, notamment le recours au chiffre six, et dont le sublime adagio préfigure déjà, par la lenteur délibérée avec laquelle se déploie son thème, le Beethoven des ultimes quatuors, voire le Schubert du Quintette en Do.

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Mais il n’est pas besoin d’élucider la perfection mathématique – et donc architecturale – de cette partition pour sentir qu’il se produit ici quelque chose de très rare. Et le plaisir tangible qu’éprouve le trio à communier avec la musique – et qui donne l’impression d’être témoin d’un moment de partage intime plutôt que d’une performance – ne fait qu’ajouter à notre émerveillement.

Après le succès des sonates pour violoncelle solo de Matt Haimovitz, l’étiquette montréalaise Oxingale consolide ici sa place au rang des maisons de disques classiques dont on peut attendre de très belles surprises.

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