Savoureux paradoxe: à partir du moment où l’on colle à un disque, un artiste ou un genre musical l’étiquette de «plaisir coupable», il n’en faut pas plus pour nous déculpabiliser de les écouter. Grâce à un double décalage (ironique et nostalgique), on peut assouvir ses passions les plus suspectes en toute impunité. C’est ainsi que le yéyé le plus imitatif se trouve désormais à l’abri de la critique, et que même des rockeurs endurcis comme Alice Cooper sont libres d’avouer leur profonde affection pour Abba. Et c’est très bien comme ça.
Prenez Joe Dassin, qui n’a jamais tant eu la cote qu’aujourd’hui. De son vivant, il n’avait guère fait plus que de reprendre des succès américains ou italiens, confections pop, folk ou country aux mélodies qui, pour le meilleur ou le pire, nous collaient irrémédiablement à la mémoire. La recette, qui avait marché pour les Baronnets et Johnny Halliday, s’est avérée des plus rentables pour notre cowboy à l’étrange regard, jusqu’à ce qu’une crise cardiaque vienne le faucher un 20 août 1980, figeant à jamais sa légende et «son» répertoire.
Avec Salut Joe! (Atlantis/Sélect), un projet né de l’imagination de Steffie Shock, une douzaine d’interprètes québécois de tous poils convergent sur ce répertoire que chacun connaît par cœur. Et à en juger par la façon dont le public plébiscite cette compil (au sommet des palmarès dès sa sortie), le bougre a flairé le bon filon.
Une chose est certaine, c’est que Dassin se prête à toutes les sauces, y compris la salsa, comme en témoigne Le moustique dans la version de Shock. Ailleurs, Sébastien Lacombe greffe mord goulûment dans Le petit pain au chocolat, Patrick Normand joue la carte de la sobriété folk sur Dans la brûme du matin (alias Early Mornin’ Rain, de notre Gordon Lightfoot national), alors que Pierre Lapointe, lui-même une curieuse réincarnation d’un chanteur de variétés français des années 70, n’a pas eu à chercher loin pour trouver le ton qui convenait à Dans les yeux d’Émilie.
Quant à Éric Lapointe, fidèle à son personnage de mauvais garçon, il noie la tendresse de À toi sous une coulée de guitares saturées. Mais peu importe ce qu’ils font subir à ces morceaux inoxydables, aucun des interprètes de Salut Joe! n’a su – ou voulu – trahir l’esprit du maestro. Et tous comptes faits, c’est très bien comme ça.