Place Nathan Phillips: un budget réduit donnera un meilleur résultat

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Publié 19/03/2007 par Claude Bergeron

Le jury a rendu son verdict le 8 mars et c’est à Plant Architect Inc., conjointement avec Shore Tilbe Irwin, que revient l’honneur de réaménager la place Nathan Phillips. En dépit des ressemblances qui rapprochaient trois des quatre projets retenus pour l’étape finale du concours, on peut supposer plusieurs raisons qui expliquent la préférence du jury.

La faiblesse de certains projets qui amoncelaient des éléments divers, comme s’il avait fallu couvrir la vaste étendue qui s’offrait aux concurrents, les a sans doute vite écartés. Certains avaient troqué la dignité qui sied à la première place publique pour le tape-à-l’œil d’un terrain de foire.

Rogers Marvel Architects étaient les seuls à présenter un parti simple en dégageant la place. Ils maintenaient toutefois le jardin de la paix à son emplacement, et cela ne milita sûrement pas en leur faveur. Peut-être aussi péchèrent-ils par témérité en modifiant partiellement la forme de la place, même s’ils lui conféraient un contour clairement défini qui n’était pas inapproprié au contexte.

Le projet primé conserve intégralement la forme de la place. Il ajoute même un usage au pavillon d’habillage en aménageant une terrasse sur son toit plat. Les éléments qu’il introduit sont peu nombreux, mais ils sont envahissants en plus de fragmenter la place et de rendre indéfinie sa limite occidentale.

Quelques morceaux s’avèrent ingénieux voire séduisants lorsqu’on les apprécie isolément. Le projet offre aussi l’avantage de pouvoir être réalisé par étapes, ce que le maire, qui dispose présentement de moins de la moitié de la somme requise, n’a pas manqué de souligner. Cette situation peut susciter chez d’autres la crainte que le projet ne soit jamais réalisé entièrement. Mais, au fond, n’est-ce pas ce qu’on devrait plutôt souhaiter?

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Un bref examen de quelques places publiques célèbres fait ressortir des qualités à l’encontre desquelles va le projet de Plant Architect. Ce sont toutes des places de grandes dimensions, comme celle de notre hôtel de ville. La place Saint-Charles à Turin a une superficie équivalente à celle de la place torontoise et seule une statue équestre en occupe le centre.

À Bruxelles, la Grand’Place ne renferme absolument rien, comme il en va de la place du Dôme à Syracuse. L’ensemble de la place Saint-Marc et de la Piazzetta à Venise ne compte que quelques colonnes et statues, toutes situées en périphérie. Beaucoup plus vaste encore, la place Saint-Pierre de Rome n’a d’autre ornement qu’un obélisque flanqué de deux fontaines.

En plus d’offrir de vastes étendues dégagées, que nous présentent aussi ces grandes places? Qu’elle soit géométrique ou irrégulière, la forme de la place est toujours clairement définie et l’architecture qui la borde est soutenue, peu importe si elle est uniforme ou variée. Bref, le cadre de la place est plus important que ce que celle-ci renferme. À Saint-Pierre de Rome, le cadre met un édifice en valeur, ailleurs il déploie un panorama varié qui renouvelle sans cesse l’expérience du promeneur.

Le projet primé pour la place Nathan Phillips morcelle l’espace public en quatre régions, embrouille certaines limites et introduit de la confusion dans l’orientation de la place.

Si le périmètre reste bien défini à l’est et au sud, les grandes saillies que forment le pavillon d’habillage et la scène à l’ouest, séparées par un groupe d’arbres, ne font qu’encombrer l’espace public et n’offrent aucune image cohérente qui indique une limite nette.

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La scène, qui s’interpose comme un palier entre deux escaliers monumentaux, peut paraître une idée ingénieuse, mais avec le vaste toit permanent qui la couronne l’ensemble prend l’allure solennelle d’un autel sacrificiel qui, par surcroît, introduit une orientation vers l’ouest, laquelle entre en conflit avec l’orientation principale vers l’hôtel de ville.

À quoi bon un escalier aussi grandiose pour accéder au lieu retiré qu’est le jardin de la paix? N’est-on pas en train d’encombrer la place d’un équipement qui sera vite jugé aussi inapproprié que l’était le jardin de la paix tant décrié?

Aménager la terrasse d’un restaurant sur la place est une excellente solution pour y ajouter de l’animation et de la couleur, mais c’est au niveau de la place qu’on doit la retrouver et non sur la toiture du pavillon d’habillage. Celui-ci est un autre objet encombrant. Il devrait être démoli et reconstruit à l’ouest du portique où il servirait de soubassement au restaurant sous les arbres.

Après le départ du jardin de la paix, le quadrant au nord du grand bassin ne restera pas inoccupé lui non plus. Dix petits bassins le parsèmeront de façon irrégulière et de chacun jaillira un jet d’eau intermittent. La rangée de jets qui émergent du grand bassin n’est-elle pas suffisante? Cet immense plan d’eau avec les trois arcs qui l’enjambent n’a pas besoin de la concurrence d’autres éléments qui détruiront leurs effets mutuellement et détourneront l’attention de ce vers quoi elle devrait converger.

Le respect de la vision de Revell et la mise en valeur des qualités uniques de la place Nathan Phillips, que le jury reconnaît dans le projet de Plant Architect, ne se réaliseront que si celui-ci se départit d’un bon nombre de ses composantes. La place s’en portera mieux et le budget de la Ville aussi.

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