Past Perfect: La naissance d’un monstre

Michel Tremblay en anglais au Tarragon

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Publié 07/03/2006 par Pierre Karch

De tous les dramaturges québécois, Michel Tremblay est le plus connu à Toronto où l’on joue ses pièces en langue originale ou dans une traduction anglaise. On doit à Linda Gaboriau celle de Past Perfect (Le passé antérieur) que l’on interprète devant des salles combles, sur la scène principale du théâtre Tarragon.

Le personnage principal, Albertine, joué avec brio par Caroline Cave, ne quitte jamais la scène. C’est dire que toute l’action tourne autour d’elle. La mise en scène de Leah Cherniak tient compte de cette dynamique. Sa mère, sa sœur, son frère et son ancien cavalier tournent tous autour d’elle.

Comme si cela ne suffisait pas, Yannik Larivée, à qui l’on doit les décors et les costumes, a imaginé un plateau tournant qui ne fait qu’une révolution durant les 90 minutes que dure ce spectacle, sans entracte.

Intrigue

Il s’agit d’un drame de famille qui se déroule le temps de la représentation. Alex (Brendan Gall), qui a quitté Albertine et qui, depuis peu, fréquente sa sœur Madeleine (Claire Calnan), est attendu à la maison.

Albertine, qui veut le séduire, s’est faite belle et c’est elle qui l’accueille. Elle veut une explication. Alex se sent piégé, mais lui répond franchement qu’il ne peut pas vivre de façon aussi intense qu’Albertine dont la passion l’étouffe. Il préfère tenter sa chance avec Madeleine plus modérée dans son amour.

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Albertine

Les inconditionnels de Tremblay reconnaîtront les personnages qu’on retrouve ici, en 1930. C’est le début du cinéma parlant qui sert littéralement de toile de fond et sur laquelle Albertine projette son image avec celles de Greta Garb.

Albertine, 20 ans, qui fréquente les cinémas de Montréal, laisse les vedettes de Hollywood envahir son existence. Elle imite leurs gestes grandiloquents, fume comme elles, prend des airs. Mais, alors que les actrices ne jouent que des rôles qu’elles ont étudiés, Albertine improvise.

Le danger, c’est qu’elle finit par croire aux rôles qu’elle se donne. Tellement que la réalité n’a plus d’importance pour elle. C’est une héroïne tragique que le malheur pourchasse.

Sa mère (Nancy Beatty) essaie de la rappeler à l’ordre, mais sans succès. Ceci se voit très bien, au cours de la dernière scène, alors qu’elle l’exhorte à revenir sur terre. Albertine s’essuie les yeux. Elle a versé sa dernière larme. Elle ne pleurera plus. Elle va passer le reste de ses jours à être malheureuse et à rendre les autres comme elle.

On assiste, à ce moment-là à la naissance d’un monstre. C’est d’ailleurs le qualificatif que chacun lui adresse. Un monstre d’égoïsme. Une tête dure. Une passionnée d’elle-même.

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La vedette: Caroline Cave

Pour tenir pareil rôle, il faut un talent monstre. Caroline Cave l’a. On la voit d’abord comme une sirène. Petite robe élégante, lèvres très rouges, mais sans exagération, coiffure compliquée, mais de bon goût. Elle se sait belle. On n’a pas encore compris qu’elle l’est pour reprendre Alex que sa sœur lui a enlevé.

C’est une femme froide et tout à la fois passionnée. C’est dire qu’elle calcule constamment ses coups et surveille ses effets. Mais elle n’arrive jamais à contrôler la situation, car elle aime Alex à la folie, ce qui lui fait commettre, surtout en sa présence, des gestes qui la desservent.

À mesure que l’action avance, sa coiffure se défait. Elle fume de plus en plus, car, avance-t-elle, la nicotine la détend, ce qui est le contraire de ce que peuvent observer les spectateurs. On frise le théâtre de l’absurde dans lequel les gestes démentent souvent la parole.

Elle a de plus en plus de mal à se tenir droite dans ses souliers à talons hauts. Elle perd certains des accessoires qui l’avantageaient. Son masque s’effrite et finit pas tomber tout à fait. Très bien joué!

Interprètes

Ceci n’enlève rien à l’excellence des autres interprètes, le plus sympathique étant Brendan Gall. Il nous fait bien voir qu’un homme ne peut pas raisonnablement contempler une vie à deux avec un personnage comme Albertine.

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Nancy Beatty, dans le rôle de la mère victime qui se plaint avec raison de la vie qu’elle mène, a bien saisi ce que peut être le sens de l’honneur d’une femme qui lave les planchers, qui se traîne à genoux plusieurs heures par jour, alors que son paresseux de mari se saoule à la taverne.

Cette pièce, écrite en 2003, apporte des précisions sur le passé de personnages bien connus. Tremblay fait de la psychologie, en donnant des causes aux effets que nous connaissions. Ses personnages prennent de l’épaisseur, à tel point qu’on pourrait les croire sortis de la réalité.

Past Perfect de Michel Tremblay, tient l’affiche au théâtre Tarragon, 30, avenue Bridgman, jusqu’au 2 avril 2006. Billetterie: 416-531-1827.

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