Pas beaucoup d’accents franco-ontariens à TFO

Un «cover» de Justin Timberlake tourné à Montréal fait réagir

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Publié 09/06/2016 par François Bergeron

L’insécurité linguistique est «l’enjeu numéro 1 de l’Ontario français et la cause numéro 1 de l’assimilation». Pourtant, très rares sont les membres des équipes de gestion, de production et d’animation de TFO qui ont déjà ressenti ce sentiment de ne pas avoir confiance dans son niveau de français.

C’est ce que déplore l’illustrateur Marc Keelan-Bishop en marge d’un récent débat, dans les médias sociaux, suscité par le vidéoclip d’un «cover» de la chanson Can’t Stop The Feeling de Justin Timberlake, tourné dans le vieux port de Montréal par les quatre animateurs québécois de l’émission FlipTFO.

Le créateur des affiches «rebelles» sur l’histoire de l’Ontario français, qui a déjà travaillé pour l’ancienne émission pour ados Volt et qui était artiste en résidence aux récents Jeux franco-ontariens, a causé un certain émoi en s’inspirant de la controverse pour dessiner un drapeau franco-ontarien déchiré à côté de beaux drapeaux de la France et du Québec.

Un autre dessin du même élan montre un jeune Franco-Ontarien devant un écran de TFO qui ne lui renvoie aucune image…

L’AFO inquiète

«Un peu dur? », a tweeté Peter Hominuk, le directeur général de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario.

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Marc Keelan-Bishop, qui habite à Picton, réagissait à un texte de Mathieu Fortin, d’Ottawa, l’initiateur de la page Facebook Je suis Franco-Ontarien, s’indignant que «vos taxes viennent de financer un clip anglo, tourné à Montréal avec des Québécois, et c’est signé TFO».

«Je ne comprends pas», lance cet animateur de radio et de télévision et producteur de contenu web. «C’est comme si j’utilisais mon budget familial pour nourrir une autre famille, qui elle, est déjà devant un buffet abondant.»

Denis Vaillancourt, le président de l’AFO, trouve ça «surprenant» lui aussi, de la part d’un organisme censé être «pour et par» les Franco-Ontariens. En entrevue à L’Express, il reconnaît l’expertise des gens de TFO dans leur domaine, mais il suggère au conseil d’administration de TFO de se pencher sur l’affaire et de «verbaliser» ses politiques et ses choix.

Dans chacune de leurs interventions, Mathieu Fortin et Marc Keelan-Bishop soulignent qu’ils aiment beaucoup TFO, mais qu’ils considèrent ce clip comme un dérapage. MKB précise à L’Express que «les équipes des émissions 24.7 et #ONfr sont balancées, et mes enfants regardent MiniTFO à tous les jours. Mais les équipes de BRBR et FlipTFO sont entièrement québécoises.»

Ados insaisissables

La directrice des communications du Groupe Média TFO, Carole Nkoa, a écrit à Marc Keelan-Bishop pour l’assurer que le diffuseur, qui relève du ministère ontarien de l’Éducation, «est soucieux d’offrir à ses publics francophones et francophiles des ressources de qualité qui leur permettront de s’épanouir, de vivre et de partager la culture et la langue française».

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«Cet engagement», précise-t-elle, «vise toutes les communautés d’apprenants, premièrement en Ontario et ensuite ailleurs au Canada.»

«En plus de servir les publics francophones, nous visons à rejoindre les francophiles. (…) La vidéo musicale de Flip avait pour objectif de rejoindre ce public d’adolescents francophiles et de lui faire connaître des talents francophones.»

Certains des jeunes qui tombent sur ce clip anglo peuvent par la suite s’intéresser à d’autres contenus francos de FlipTFO, explique-t-elle à L’Express.

Mathieu Fortin et Marc Keelan-Bishop (qui ne se connaissaient pas) ne sont pas convaincus, répliquant qu’on n’attire pas les francophiles avec un vidéo en anglais.

Sensibilité minoritaire

MKB répète qu’on ne trouve «presque pas d’accents franco-ontariens en ondes à TFO». Selon lui, «il ne reste plus personne à la direction de TFO qui a grandi en situation minoritaire».

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Mathieu Fortin est moins catégorique, ne connaissant pas tout le monde à TFO, mais il croit que c’est une tendance: «Dans ses productions web, TFO semble surtout intéressé à des animateurs qui ont déjà beaucoup de suiveux, et ce sont surtout des Québécois qui correspondent à ce profil.»

«100% de l’équipe d’animation de FlipTFO a été parachutée en Ontario depuis le Québec, donc c’est normal qu’ils ne comprennent pas le sentiment de trahison que je ressens lorsque TFO fait des choses comme ça», dit MKB à L’Express.

La vidéo en question n’est toutefois «aucunement représentative» des contenus produits par TFO, fait valoir la porte-parole Carole Nkoa. Des productions telles que Jeunes d’exception, une nouvelle série qui met en avant des jeunes francophones engagés dans leur communauté, le serait davantage.

«Je ne consomme pas beaucoup de médias francos parce que trop souvent, c’est du contenu auquel je ne peux m’identifier», a tweeté Jérémie J. Spadafora, le président de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne. «Si vous n’arrivez pas à faire regarder le jeune Franco-Ontarien le plus engagé en Ontario, c’est parce que vous avez manqué le bateau.»

Français international

Dans une lettre écrite le 8 juin au conseil d’administration de l’Office des télécommunications éducatives de langue française de l’Ontario (à qui appartient nominalement le Groupe Média TFO), MKB réitère que «malgré ses grands succès», TFO contribue parfois à l’insécurité linguistique, «ce sentiment qu’on ne peut pas vivre en français puisque notre français n’est pas assez bon».

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Il inclut dans sa définition de Franco-Ontarien «autant ceux qui arrivent que ceux qui survivent» en Ontario. Ce sont ces derniers qui devraient être mieux représentés, selon lui, dans les équipes de TFO.

«Certains aiment rire des accents franco-ontariens», poursuit-il. «On les appelle parfois ‘accent anglais’. Moi je n’entends pas des accents anglais. J’entends les accents de gens qui luttent. Ils luttent contre eux-mêmes et contre les courants de la société afin de préserver les miettes qui restent de notre culture. TFO a l’obligation, parmi d’autres obligations, de refléter cette partie de la communauté aussi.»

Comme plusieurs autres intervenants, Denis Vaillancourt est d’avis que les médias – a fortiori les médias publics – se doivent tout de même de promouvoir un français «correct», citant en exemple le duo d’humoristes Improtéine à l’accent franco-ontarien mais aussi au propos intelligible.

Mais «refléter la voix des Franco-Ontariens est plus important», martèle MKB. «En plus, ça n’en prend pas 200! Sur les cinq émissions que TFO tournées ‘in house’, il y a à peu près 15 personnes qui sont en ondes. On ne peut pas y retrouver la moitié de l’Ontario?»

«Tabarnak, de me faire dire que les Franco-Ontariens font des anglicismes par des Québécois qui tournent du Justin Timberlake me fait bouillir le sang.»

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Image californienne

Par ailleurs, d’autres fournisseurs de services plus techniques se plaignent des politiques d’achats de TFO à Montréal, New York et Los Angeles, estimant que des boîtes ontariennes – francos ou anglos – sont parfaitement en mesure de réaliser ces mandats.

En janvier dernier, par exemple, TFO annonçait faire affaire avec la firme Troika, basée à Hollywood, pour «rajeunir son image».

Le dirigeant d’une entreprise locale qui aurait pu faire ce travail indique à L’Express ne plus recevoir de contrat de TFO depuis quelques années déjà: «TFO préfère traiter avec des fournisseurs hors Ontario, de préférence au Québec ou aux USA, et pas seulement pour la production télé, mais aussi pour la production d’éléments Web, jeux, outils pédagogiques, etc.»

«Surtout qu’au final, on ne retrouve rien de franco-ontarien comme message» dans la nouvelle image de TFO développée par Troika, accuse cet entrepreneur, qui préfère rester anonyme. «Je crois qu’il y a des membres du CA qui ‘dorment sur la switch’… L’embauche de talent franco-ontarien n’est pas une priorité pour cet organisme pourtant bien subventionné par les contribuables ontariens.»

* * *

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GLENN O’FARRELL RÉPOND

Dans une lettre ouverte à L’Express datée du 9 juin, le pdg du Groupe média TFO, Glenn O’Farrell, commente ici le débat lancé par Mathieu Fortin et Marc Keelan-Bishop:

Le Groupe Média TFO est une entreprise publique médiatique qui produit et diffuse chaque jour des contenus éducatifs et culturels innovants en français, destinés aux francophones et francophiles de tout âge, tant en Ontario qu’ailleurs au pays. Il propose des expériences et des contenus reconnus, à l’avant-garde de l’apprentissage numérique. Fier de son héritage public, le Groupe Média TFO célèbre le fait français en Ontario et ailleurs.

Nous déployons des efforts nombreux sur le terrain éducatif, mais pas uniquement. Depuis trois ans, et ce pour dynamiser notre présence auprès des publics adolescents, nous faisons une place particulière aux talents francophones, comme avec la franchise multiplateforme BRBR.

Cette franchise de musique a été développée pour offrir une vitrine aux artistes francophones émergents, tels les Alexis Normand, D’Track, FLO, Gabrielle Goulet, Le Paysagiste. Ces artistes et d’autres, de l’Ontario et d’ailleurs au Canada, ont cumulé plus de 5 millions de visionnements sur notre Chaîne YouTube BRBR TFO. Nous y avons présenté 132 artistes émergents de la scène musicale franco-ontarienne parmi plus de 300 franco-canadiens.

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Pour réussir dans un paysage médiatique turbulent, où les contenus se multiplient et proviennent de partout, nous devons faire preuve d’imagination pour percer. Ça prend des initiatives créatives pour faire découvrir nos contenus. Évidemment il y a place à l’erreur.

La semaine dernière nous avons diffusé sur YouTube, dans le cadre de notre émission Flip TFO, une vidéo en anglais destinée à mettre en vedette une chanson populaire sur le palmarès estival, Can’t stop the feeling de Justin Timberlake. Au moyen des réseaux sociaux, des francophones ont exprimé leur déception au sujet de cette production. Nous ne souhaitions pas choquer et nous en sommes désolés.

C’est dans un esprit de dialogue que nous désirons nous adresser à vous aujourd’hui. Nous croyons qu’il est important d’avoir un échange ouvert avec le public et croyons qu’ensemble, il est possible de mettre en valeur les productions TFO tout en continuant à innover.

Depuis le virage numérique, nous encourageons des démarches positives afin de s’assurer que les contenus éducatifs et culturels soient de qualité et pertinents pour nos auditoires. Nous le faisons de façon passionnée avec une équipe d’employés qui représentent la diversité de la francophonie ontarienne et ses intérêts.

Cette audace, même si elle ne fait pas l’unanimité, nous récompense aussi, et c’est à elle que nous devons les succès du Groupe Média TFO.

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Soulignons quelques exemples concrets qui démontrent notre volonté de déployer les meilleurs produits et services:

✓ Le site Idéllo et ses 8 000 contenus éducatifs, utilisés dans les classes, est destiné à tous les élèves francophones et francophiles de l’Ontario inscrits dans l’un des 12 conseils scolaires de langue française ou des 60 conseils scolaires de langue anglaise.

✓ Nos nombreuses plateformes YouTube, qui ont dépassé 250 millions de visionnements, occupent aujourd’hui les positions numéro 1 et numéro 2 parmi les chaînes YouTube en français au Canada.

✓ Notre site tfo.org totalise plus de 200 000 vidéos vues par mois.

✓ L’ensemble de nos franchises et de nos productions, comme TFO 24.7 et celle de #ONfr qui traite des affaires publiques en Ontario, ont su, en à peine 2 ans, se tailler une place de choix en Ontario français.

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Le Groupe Média TFO est toujours ouvert au dialogue avec le public pour mieux faire son travail et réussir son mandat. Plus particulièrement, nous cherchons toujours des façons pour mieux comprendre les intérêts et recevoir les idées de nos auditoires, plus particulièrement les jeunes générations, afin que les contenus que nous produisons les intéressent et les rendent fiers de leurs accents et de leur francophonie. Communiquez avec nous à [email protected].

C’est ensemble que nous allons réussir.

Le Président et chef de la direction du Groupe Média TFO,
Glenn O’Farrell

Auteur

  • François Bergeron

    Rédacteur en chef de l-express.ca. Plus de 40 ans d'expérience en journalisme et en édition de médias papier et web, en français et en anglais. Formation en sciences-politiques. Intéressé à toute l'actualité et aux grands enjeux modernes.

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