Partie d’un fait véridique… Micheline Lachance laisse vagabonder son imagination avec brio

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Publié 03/03/2009 par Paul-François Sylvestre

En 2005, Micheline Lachance a publié une biographie romancée de Lady Cartier. Cet ouvrage m’a séduit et j’en ai parlé élogieusement. J’ignore si c’est pour cette raison que la romancière m’a envoyé sa nouvelle création intitulée Les Filles tombées. Chose certaine, elle m’a une fois de plus séduit. Le roman Les Filles tombées sera assurément un de mes coups de cœur en 2009.

Micheline Lachance illustre avec brio qu’une romancière a le privilège de partir d’un fait véridique, pour ensuite laisser vagabonder son imagination. Elle le fait en s’appuyant sur une recherche minutieuse, en architecturant une savante intrigue et en créant des personnages savoureusement attachants. Le fait véridique est la situation des filles-mères dans le Bas-Canada de 1852. On les nomme «filles tombées», non pas parce qu’elles sont tombées enceintes d’un commerce illicite, selon l’expression consacrée, mais plutôt parce qu’elle sont tombées… dans le péché.

La romancière nous plonge dans le Montréal de 1852. Le 8 juillet de cette année-là, quatre filles tombées accouchent à la Maternité de Sainte-Pélagie. Il y a Noémi Lapensée, petite servante engrossée par son patron, Elvire Tanguay, prostituée du Red Light, Maddie O’Connor-Cork, alias Mary Steamboat, immigrante irlandaise fraîchement débarquée d’un bateau vapeur, et Mathilde Mousseau, fille d’un banquier.

Noémi meurt en couches, sous les yeux de ses compagnes d’infortune qui blâment le médecin et jurent de venger la mort de leur amie. Au matin, coup de théâtre! le médecin succombe à un empoisonnement à l’arsenic. C’est Rose, surnommée «la fille des empoisonneuses», qui raconte l’histoire. Elle a dix-huit ans et cherche à percer le mystère de sa naissance. Laquelle des quatre filles tombées est sa mère…?

Au début du roman, l’auteure écrit que, «sous leur carapace, les orphelins sont fatalistes, voire résignés, sans doute à cause de l’illégitimité de leur naissance.» Mais le tempérament combatif de Rose détonne. Coûte que coûte, elle veut savoir. Plus loin, la romancière ajoute qu’il y a deux façons de survivre à l’abandon: «tuer l’espoir en vous ou encore vous fixer un but qui vous occupera nuit et jour». C’est la seconde solution que choisit Rose, une jeune femme qui fait preuve de ténacité. Elle se raidit constamment contre l’adversité et, malgré les revers, elle garde toujours le moral.

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Le roman est savamment architecturé. L’intrigue se dénoue à la fois lentement et tumultueusement. Les rebondissements sont nombreux et savoureux. Toutes les pistes sont explorées ; elles se nomment Noémi, Elvire, Mathilde et Mary. Pour les arpenter dans tous leurs recoins, Micheline Lachance crée une kyrielle de personnages secondaires auxquels on s’attache immanquablement.

La romancière sait imbiber son récit d’une juste dose d’éléments historiques. Elle nous apprend, par exemple, que le faubourg Saint-Laurent est victime d’un incendie en 1852 et que Montréal compte environ 300 filles aux mœurs légères cette année-là, Elle raconte comment Rose trouve un emploi auprès d’une dame qui a besoin d’une lectrice capable de lui lire des romans, tout en précisant que, pour cinq chelins par année, cette dame se procure des romans à la bibliothèque paroissiale, ce qui est une aubaine pour une boulimique de livres.

Tel que mentionné plus tôt, une des quatre filles tombées qui accouchent le 8 juillet 1852 y laisse sa peau, et ce, parce que le médecin accoucheur est un vrai boucher. Les autres filles-mères souhaitent se venger en faisant subir toute une frousse à l’accoucheur assassin. Une des filles tombées prépare une concoction de nature à lui infliger des crampes, des vomissements et des douleurs de nature à lui rappeler les filles de Sainte-Pélagie «jusqu’à la fin de ses jours». Hélas, la dose est mortelle. Il s’ensuit un procès où «les riches s’en tirent, les pauvres écopent».

Micheline Lachance aime donner à son récit des coloris inattendus. Elle écrit, par exemple, que les rumeurs les plus saugrenues circulaient à Montréal après le meurtre de l’accoucheur assassin. On chuchotait qu’il avait été perpétré dans «une nef de sorcières tenue par des religieuses cannibales». On soutenait même qu’il se pratiquait entre les murs de la maternité «des rites tenant de la sorcellerie».

Plus qu’un roman sur la recherche des origines, Les Filles tombées se veut une peinture des mœurs et préjugés de l’époque qui ravalaient les filles-mères à des débauchées et condamnaient leurs enfants à vivre tête baissée. Micheline Lachance écrit qu’«on a beau avoir l’esprit ouvert, force est d’admettre que nos préjugés ont la vie dure et qu’on ne les balaie pas en criant ciseaux».

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Roman psychologique, roman historique, roman d’aventure, Les Filles tombées est un puissant ouvrage. Il a le pouvoir de vous émouvoir, de vous surprendre, de vous tirer une larme, de vous tenir en haleine, bref, de combler toutes vos attentes.

Micheline Lachance, Les Filles tombées, roman, Éditions Québec Amérique, 2008, 438 pages, 27,95 $.

Auteur

  • Paul-François Sylvestre

    Chroniqueur livres, histoire, arts, culture, voyages, actualité. Auteur d'une trentaine de romans et d’essais souvent en lien avec l’histoire de l’Ontario français. Son site jaipourmonlire.ca offre régulièrement des comptes rendus de livres de langue française.

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